6 ans avant Kérouac, Guevara rapportait son Voyage à motocyclette. Point de Beat generation. Plutôt une Marx revelation. Dans ses carnets autobiographiques, blogs de papier, le jeune Ernesto livre ses histoires et ses impressions sur la vie de son continent qu'il découvre à peine et qui modèlera tant son personnage.
- Peu avant Noël. Alberto Granado convainc un ami de parcourir avec lui l'Amérique pendant une année sabbatique. Cet ami n'est pas encore le Che, mais seulement le jeune Ernesto Guevara, étudiant en médecine, jeune bourgeois argentin.
Ernesto accepte, comme un acte de folie dû à la jeunesse qu'il perdra bientôt. Pour lui, ce sera un parcours initiatique. D'une famille aisée, mal informé des réalités sociales sud américaines, politiquement puceau, il découvre aux prix d'ampoules et d'engelures l'existence du prolétariat, la dureté de la vie et du travail.
Don Quichotte et Sancho Pansa sur les routes du Chili ou de la Bolivie. Alors que Guevara ne fait dans un premier temps qu'accompagner son ami, la tenue de la plume et son charisme donnent au futur promoteur des goulags cubains, le rôle picaresque principal. Au fil des pages, l'écriture devient rapidement vive, descriptive, sans que l'épique soit oublié. Ces vagabonds usent de toutes sortes de malices pour survivre à moindre frais, bénéficiant de la générosité des gens humbles. En vivant cette misère et en côtoyant ce tiers-état, Guevara fait son apprentissage de la vie et de la politique en accéléré.
L'icône idéalisée n'est pas ici réellement écornée. Sa fragilité, sa naïveté, son ignorance alimente la mythologie du héros romantique, aux convictions pures. La jeunesse insouciante et sa révélation mystique accentuent le caractère messianique de l'homme. Son naturel et la faim font pardonner les écarts de ce couple d'aventuriers.
La postface aurait dû être un prodrome. Ramon Chao, père du troubadour altermondialiste marchandisé et apatride, analyse le destin du Ché, donne des clés de compréhension. Car, alors que ce voyage s'inscrit dans deux histoires, celle de l'Amérique du Sud version Monroe, et celle de Ernesto bientôt « commandante », il est souvent difficile pour qui ne s'y est pas plongé avant, de replacer ces notes dans leur contexte. Combien de temps s'écoule entre la mention de la lueur rouge de l'URSS à la sortie de la mine chilienne, et sa première visite chez l'Oncle Jo ? Combien de législatures entre les 40 000 votes pour Allende mentionnés, et la victoire éclatante de celui-ci sur son train, puis son assassinat ?
La lecture de ce carnet de voyage me prouve surtout ma méconnaissance historique, voire géographique, de ce sous-continent américain, malgré l'assiduité au cours d'histoire et la présence aux leçons d'espagnol. Il me semble regrettable que sur une planète mondialisé, l'instruction soit encore si « européano-centrée ».
C'est l’intérêt de ce livre, celui de donner des notions latinoaméricaines, outre celui de donner l'impression, à défaut de comprendre, au moins d'approcher une icône naissante, aussi radicale à la fin qu'elle était romantique au début.