Le génie de Céline, celui que tous les littéraires vouent au-delà des opinions personnelles discutables de son alter-ego Louis-Ferdinand Destouches, réside dans sa maîtrise de la langue. Et c’est peut-être dans Voyages au bout de la nuit, pourtant oeuvre de jeunesse, de par sa prise de vue à la première personne et de par le caractère commun de son narrateur qu’elle s’exprime le plus largement.

Que l’on m’entende bien : l’excellence de Céline ne s’arrête pas un registre, mais traverse, détruit et recompose tous les registres de langues pour leur faire épouser la pensée au plus près.

Bardamu est parisien. La guerre le terrifie, bientôt le dégoûte. Il le sait, il y est allé pour vérifier. Il en revenu avec une certitude. Une seule ligne de vie raisonnée : être lâche.

Bardamu veut voir l’Amérique, aussi. Il est jeune Bardamu, pétrie de certitude et d’une vitesse qui va peu à peu l’abandonner.

Bardamu n’est pas extraordinaire. Bardamu est à la fois quelconque et d’une lucidité rare. Il alterne, le pauvre Bardamu, entre la lente résignation haineuse et les accès de perception brillante d’une humanité perdue dans laquelle il barbote à s’en noyer.

Car voilà, Bardamu, le jeune comme le vieux, ne poursuit que deux buts : survivre et comprendre les gens, leur médiocrité, leur misère.

Dans cette quête faite à demi-mot, on suivra Bardamu sur toutes les nuits du monde, les siennes comme celles des autres, au rythme parfait de la symphonie stylistique de Céline. Tantôt banals, les mots viendront en un éclair frapper le génie, pour revenir l’instant d’après dans la description commune d’un bistrot envahi par les néons criards.

Grandiose partition, Voyage au bout de la nuit, se lit et se ressent de nuit en nuit.
fDeco
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le 31 oct. 2013

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