Agonie, Catastrophe, Chagrin, Cocu, Corvée, Dégoût, Désastre, Détresse, Douleur, Enfer, Fatal, Fiente, Furoncle, Garce, Haine, Juron, Labeur, Lamentation, Malheur, Masochiste, Masturbation, Méfiance, Méningite, Misère, Mort, Néant, Panique, Pauvreté, Péché, Pénitence, Peine, Pitoyable, Plainte, Poisse, Pourriture, Prostitué, Purge, Racaille, Rance, Reproche, Salaud, Sordide, Suicide, Tragique, Traitrise, Tristesse, Quête, Vice, Vicieux.
Voici un bref aperçu du sombre champ lexical utilisé par Bardamu pour nous conter ses longues péripéties, ce qui est assez révélateur du pessimisme imprégnant le récit. Le voyage, ou plutôt la fuite permanente de l'anti-héro, pourrait être résumé en une cinquantaine de pages. Mais il n'est qu'un prétexte pour Céline pour nous faire partager son expérience, et surtout son opinion. Tous les sujets y passent : la famille, la religion, l'amitié, le sexe, le colonialisme, le couple, la maternité, la guerre, le travail, la vieillesse,.... Ils nous sont exposés à travers le lugubre prisme du narrateur, et donc de l'auteur. Louis-Ferdinand serait antisémite, misogyne, raciste? C'est pire que ça! Il vomit l'humanité, il vomit la vie!
Dépressifs, abstenez-vous, ou mettez la corde et le fusil hors de portée.
Il me restera de ce livre non pas les péripéties en tant que telles, mais la violence et la misère qui s'en échappent. Un avortement maison macabre. Une description certainement inégalable de la Grande Guerre. Un couple baisant après avoir battu leur enfant... La seule once de lumière nous viendra d'Afrique, avec Alcide qui "offrait à [une] petite fille lointaine assez de tendresse pour refaire un monde entier et cela ne se voyait pas". Ouf! Un moment de répit. Mais mon espoir sera de courte durée: cette faiblesse, cet élan d'affection ne se reproduira pas.
Bien sûr, le récit n'aurait pas cette force sans le style de Céline, incomparable, liant un langage vulgaire, obscène et soutenu (je vous assure, c'est possible!), avec une syntaxe nous donnant cette fâcheuse impression de ne pas quitter le cortex de Bardamu.
A mon sens, Voyage au bout de la nuit n'est pas un livre qui se lit, mais un livre qui s'étudie, afin de révéler avec lenteur et précision la puissance de chacune des lignes.
Avec tout ça, comment noter ce livre? Je dois être honnête, il m'est arrivé à plusieurs reprises de vouloir le fermer, et quitter l'enfer de cette vie trop chargée de misère. Mais à de nombreux passages, le génie de l'auteur m'a pousser à vouloir le gratifier d'un 10 double coeur (Sens Critique, il va falloir inventer le concept!), et le classer en haut de mon Top 10, détrônant l'indétrônable Comte de Monte-Cristo! Je me contenterai finalement d'un beau 9, afin de rendre hommage à cette écriture inégalable, qui nous ôte pourtant parfois le plaisir de lire.