Comme le sous-titre ("Essai pour tout reconstruire") le laissait penser, ce livre ne manque pas d'ambitions. Si vous cherchez un paradigme neuf pour penser une nouvelle organisation de la société, ce livre est fait pour vous. Vous serez donc d'autant plus surpris de commencer par lire la description d'une fellation-sodomie. Et c'est un peu ce qui traverse le livre : beaucoup d'ambition, et une trame narrative assez inutile et souvent gênante. Alors faites comme le prône l'auteur : soyez tolérant.


Parce que ce livre en vaut la peine. Il décrit dans le détail une succession de principes politiques à même de refonder une société qui accorde le maximum d'autonomie à ses membres, sur la base de l'individualisme et de l'humanisme.


Le plus important est selon moi le principe de libre association, selon lequel les individus s'assemblent en communauté politique librement. Ils peuvent en avoir plusieurs à la fois, et en quitter ou en rejoindre à tout moment. Chacune à son droit propre, et un droit dit "supplétif" vient compléter les lacunes du droit de chacune des associations. Les associations peuvent être territorialisées ou pas.


Ensuite, en misarchie (puisque c'est comme ça que Dockès nomme son système politique), la propriété est relative. Les choses ne sont possédées que pour un temps (parfois long) ; l'héritage est aboli. Le temps de travail est très réduit, et les heures supplémentaires fortement taxées. L'éducation se fait tout au long de la vie, tout comme le travail (dès 13 ans et sans retraites), au gré des besoins et des envies. La liberté d'entreprendre est conservée, mais par loi, les fondateurs perdent progressivement le contrôle de leur entreprise au profit des travailleurs.


L'auteur évoque aussi des concepts plus anecdotiques, comme des règles d'urbanismes extrêmement souple, une rotation obligatoire des enfants entre des familles d'accueil pour enseigner la tolérance, ... Mais ce qui caractérise le modèle présenté - et c'est plusieurs fois répété explicitement - c'est le compromis. Il n'y a pas de solutions parfaites, et sur certains sujets, il y a des positions contradictoires et incompatibles, donc il faut établir un compromis. Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que les institutions de la démocratie représentatives ne sont jamais évoquées, comme si elles n'étaient superflues dans ce monde qui se gouverne par lui-même.


On regrette tout de même que la question de la préservation de l'environnement ne soit pas du tout mentionnée. C'est quand même l'enjeu politique essentiel du moment, et ne pas valider la capacité du modèle politique présenté à protéger les ressources et l'environnement de ses membres me parait être une faute importante. Doit-on penser que des individus autonomes sont naturellement enclins à gérer des manière durable leur milieu ?


"Voyage en misarchie" constitue malgré tout une somme extrêmement intéressante de concepts définis par ailleurs, mais rassemblés ici en un tout cohérent au service d'un idéal politique : l'autonomie. En revanche, la forme même du texte le rend difficilement manipulable. Parce que l'auteur a choisi d'en faire un roman, cela lui a convenablement évité d'avoir à apporter des justifications théoriques à ses affirmations. Et il ne cite pas les différents textes sur lesquels il s'est appuyé pour faire ce super recueil de bonnes idées politiques. Et puis ça hache un peu la lecture : l'amourette très mal écrite qui vient ponctuer les dialogues plutôt académiques est assez malvenue, tout comme les commentaires un peu agaçant du personnage principal tout à fait caricatural. C'est particulièrement vrai des derniers chapitres, qui s'attachent à décrire le processus de mise en place de la misarchie. Il est d'une naiveté politique effarante. Il néglige l'état actuel du camp progressiste, les puissants mécanismes d'auto-préservations des grands intérêts (qui se mettent pourtant à jour de plus en plus clairement dernièrement) et simplement des traditions philosophiques et morales profondément ancrées (qui aujourd'hui veut abolir l'héritage ?).


C'en est à se demander à qui s'adresse ce livre. Pour moi, ce sera l'occasion d'une part de chercher des références plus précises sur chacun des sujets abordés, et d'autre part de tenter de comprendre quelle force politique peut demain défendre un agenda misarchique.

tmt
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le 5 mai 2019

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De belles idées, qui prennent forme dans un ensemble normatif et institutionnel captivant. Mais le style romanesque gâche un peu la chose. L'entre-deux n'est pas réussi.

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