Souvent réduits à un voyage chez les Lilliputiens et à des aventures enfantines aux allures de contes, Les Voyages de Gulliver est un récit de voyage sur la forme qui révèle une satire parfois féroce sur le fond. Jonathan Swift a eu beau cacher son identité derrière ce personnage de chirurgien qui ne tient pas en place (on plaint vraiment sa femme et ses enfants dans le roman), il a beau s'énerver dans des lettres écrites sous le nom de ce Gulliver pour se plaindre de l'édition et insister sur la véracité des faits racontés ; le livre se sert d'un imaginaire déroutant pour aborder divers thèmes avec humour mais aussi parfois dégoût ou colère.
Ainsi l'auteur nous parle de la politique et de la guerre à travers son voyage à Lilliput, souligne les conflits sociaux entre Irlande et Angleterre ainsi que militaires entre les cette dernière et la France, glisse quelques tacles à divers Hommes politiques tout au long de ses quatre voyages et laisse transpirer au fil du récit l'évolution de son caractère et notamment le développement d'un rejet de la race humaine (dans sa forme contemporaine en tout cas).
Les deux derniers voyages, celui à Laputa et chez les Houyhnhnms, sont d'ailleurs en cela les plus intéressants car ils ne se focalisent pas sur la société britannique mais en viennent à des thèmes universels tel que l'immortalité, les notions de Bien et de Mal (avec l'existence de la corruption, du vol...), de suprématie...
Et même si le personnage semble mettre en valeur le bien fondé de la société Houyhnhnms et leur conception de la vie, il ne tombe pas non plus tout à fait dans le culte d'un peuple. Par contre son aversion pour la société humaine, enflée par la proximité avec les Yahoos, étonne tout autant qu'elle semble solide.
Swift sait embarquer son lectorat car il ne tombe jamais (comme il le souligne lui-même) dans le récit trop détaillé, trop scientifique ; le rythme maîtrisé est la meilleure arme de ce carnet de voyage qui nous émerveille par les surprises exotiques qu'il révèle tout en nous faisant réfléchir sur le statut de l'être humain, son évolution et ses conditions de vie.
Tout cela reste drôle, curieux, léger à lire... et pourtant profondément, dramatiquement sérieux.