Phénomène littéraire et personnage sulfureux s'il en est, Bret Easton Ellis était attendu au tournant avec ce premier ouvrage de non fiction sobrement (si on veut) intitulé White.
D'après l'auteur, il s'agit là d'une compilation de petits essais sur l'ère dite "post empire", c'est-à-dire post 11 septembre, avec le déclin de l'hégémonie américaine et l'avènement de la société numérique et de ses réseaux sociaux.
Alors, essai transformé? Pas vraiment...
Si l'ouvrage est loin d’être dénué d'intérêt,il demeure beaucoup trop inégal à mon sens et, en ce, peine à convaincre.
Se succèdent ainsi réflexions fulgurantes d'intelligence et allégations réaco-narcissiques non rappeler tonton Jacky écoutant le son de sa voix à la fin du déjeuner de famille du dimanche.
Les fanatiques de l'auteur y trouveront, leur compte notamment en ce que Bret Easton Ellis se livre sur sa vision de la création, son rapport à ses œuvres, envisagées comme la résultante pure de leur époque, ainsi qu'à ses personnages, sa vision de l'Art, qui n'a d'autre vocation que d'être de l'Art...
Mais c'est à propos précisément de l'époque actuelle qu'il se livre le plus dans une violente diatribe contre la génération dite Y: les millenials.
Là encore, on perçoit assez rapidement les limites du Bret Easton Ellis essayiste tant son argumentation ressemble effectivement à une compilation de tweets plus ou moins douteux.
Brouillon, injustifié parfois, jamais vraiment abouti, le discours fait pourtant mouche à de nombreuses reprises tant les qualités d'observateur d'Ellis sont évidentes.
Sans idéaliser sa génération, Ellis décrit le basculement des valeurs avec l’avènement des réseaux sociaux du tout numérique et une nouvelle forme d'économie qu'il nomme, pas forcément de manière la plus opportune d'ailleurs, l'économie de la réputation.
Ainsi met-il en exergue les penchants réactionnaires d'une société qui, à force de rechercher l'approbation de l'Autre, en a oublié l'acceptation de l'individualité, trop souvent, et à tort, confondue par ailleurs avec l'individualisme.
"(...) je me souviens d'un temps où vous pouviez avoir des vues très arrêtées et remettre en question les choses ouvertement, sans être considéré comme un "troll" et un ennemi à bannir du monde "civilisé", si vos conclusions s'avéraient différentes"
La génération Y, jouissant pourtant de l'infini des possibles avec internet, a restreint son espace de liberté à une forme de pensée unique lui permettant d'asséner à longueur de journée, dans un flux ininterrompu de pensées irréfléchies, ce qui est Bien, et ce qui est Mal.
"Ne pas être capable ou ne pas vouloir se mettre dans la peau de quelqu'un d'autre - afin de voir le monde d'une façon complètement différente de la vôtre - est le premier pas en direction de l'absence d'empathie, et c'est la raison pour laquelle tant de mouvements progressistes deviennent aussi rigides et autoritaires que les institutions qu'ils combattent"
Evidemment tout ceci, dans une Amérique traumatisée par une mèche orange, a du mal à passer, et Ellis s'est fait étriller par le New Yorker ou The Observer pour des raisons de fond, à mon avis bien contestables, alors qu'une attaque sur les qualités littéraires (ou leur absence) de White auraient été bien plus méritée.
Peut-être que son analyse de la responsabilité des médias américains dans l'élection de Trump en raison des choix éditoriaux malheureux qui ont été faits n'est d'ailleurs pas pour rien dans ces attaques.
Surtout, et ce qui est absolument savoureux, c'est que ces réactions outragées au livre sont comme un ode à l'ironie et donnent raison à Bret Easton Ellis sur (presque) toute la ligne en ce qu'il rappelle que les enjeux d'une saine communication ne résident pas dans l'approbation ou la caution de la pensée de l'Autre, mais dans l'acceptation de l'altérité et de la contradiction comme n'étant pas source de conflit, mais d'enrichissement, pas plus qu'elle ne constitue une remise en cause de sa propre personne.
Objectivement, White n'est pas un grand livre.
Il a le mérite d'ouvrir la réflexion, de poser, tout de même, certaines questions nécessaires notamment quant à l'hystérisation des discours (je n'ose pas dire débat, tellement certains sujets de polémique sont vains) sur les réseaux sociaux.
Allez, terminons bons amis avec Ellis avec cette maxime que je cours faire graver dans la roche comme disais le poète:
"Les sentiments ne sont pas des faits, et les opinions ne sont pas des crimes"
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