"Nothing is true"
Une très bonne adaptation en série du livre éponyme de Philip K. Dick, où le Japon et l’Allemagne ont gagné la Seconde Guerre Mondiale et se partagent les Etats-Unis. La série prend des libertés...
le 19 déc. 2017
3 j'aime
Partisan d’une politique étrangère engagée, Gary Kasparov s’insurge contre les compromis avec les dictatures qui n’aident ni le court, ni le long terme. Il va ainsi à l’encontre d’un sentiment qui se veut minoritaire mais qui ne l’est pas vraiment : la critique de la démocratie comme régime universellement souhaitable.
Son analyse de 2015 est toujours aussi pertinente : la lutte contre Poutine et les convictions qui en découlent sont racontées par un homme qui est une page entière de l’Histoire de la Russie, que ce soit pour sa carrière de joueur d’échecs, ou celle plus ardue d’opposant politique, maintenant en exil. Il assume ses erreurs de jugement et entrelace des anecdotes personnelles avec une exposition de l’histoire russe depuis presque 30 ans, qui donne plus de hauteur au message.
Il adopte une méthode parfois pédagogique pour casser les stéréotypes et arguments rebattus, comme par exemple « les Russes ont besoin d’un homme fort » ou « Mais Poutine est populaire ». J’aime particulièrement la vision des années 90 vues non comme une période d’humiliation de la Russie par l’Occident mais plus comme un chèque en blanc donné trop vite à Eltsine avant qu’il ne réforme. Les réformes politiques n’ont donc pas suivies les mesures économiques (elles-mêmes mal construites). L’erreur a alors été de vouloir à tout prix éviter une prolongation de la guerre froide, alors que l’auteur soutient une position similaire à cette époque, où les concessions doivent être nécessairement précédées d’un rapprochement idéologique (donc démocratique).
En somme, ce livre est un réel manifeste pour la démocratie et une politique étrangère qui défend les droits de l’homme. Gary Kasparov défend l’efficacité de cette méthode, et pas seulement sa moralité, en montrant qu’on ne gagne rien, et qu’on perd beaucoup, à ne rien faire et à croire que les dictateurs ont une meilleure position que le « monde libre », alors qu’ils sont beaucoup plus vulnérables.
Je vous laisse sur un florilège abondant de citations, pour vous mettre l’eau à la bouche :
La politique la plus morale se révèle la plus efficace. Croire autre chose mène à de faux compromis qui mettent en péril la liberté sans améliorer notre sécurité.
Quant à la prétendue popularité de Poutine, j'en entends parler sans cesse. "En êtes-vous certains ? Mais alors, pourquoi a-t-il dépensé tant de temps et fourni tant d'efforts pour contrôler les médias, éliminer ses rivaux et mettre en place un système complexe lui permettant de truquer les élections à tous les niveaux ? Si Poutine est si apprécié, pourquoi n'accepte-t-il pas la tenue de véritables élections et la liberté des médias ?" [...] La définition même de l'approbation et de la popularité dont bénéficie un chef d'État démocratique n'a pas de sens dans une autocratie. Quand il y a un seul restaurant en ville qui propose un plat unique au menu et qu'il est interdit d'ouvrir un autre établissement, cela signifie-t-il que ce restaurant est populaire ?
Si [les dictateurs d’aujourd’hui] n'ont aucune envie de se soumettre à sa loi, ils ont conscience du symbolisme d'un scrutin. Qu'ils estiment nécessaire de simplement organiser des élections, si clairement frauduleuses soient-elles, en dit long sur l'efficacité de la pression extérieure et sur leur désir de bénéficier d'une légitimité leur permettant d'être considérés comme faisant partie du club des chefs d'État respectueux de la loi.
J'entends déjà les soi-disant pragmatiques me dire que le pétrole et le gaz sont loin d'être des babioles et que, de toute façon, le développement de relations économiques est le meilleur moyen de faire progresser le niveau de vie en Russie et, au final, la politique de ce pays. [...] Premièrement, si le Kremlin a prouvé qu'il était capable de faire mourir de froid des innocents en raison d'un désaccord sur un contrat, la Russie a autant besoin des consommateurs européens que l'Europe du pétrole et du gaz. Les oléoducs et gazoducs sont installés et ne peuvent être détournés. La Chine, principal autre client, ayant déjà conclu avec la Russie des accords à long terme très profitables, sa consommation est nettement moins génératrice de recettes financières pour cette dernière que celle de l'Europe. Conscients de ne disposer que d'une fenêtre limitée dans le temps pour empocher un maximum d'argent tant qu'ils le peuvent, Poutine et sa clique ne vont pas prendre le risque de perdre leur précieuse manne financière – et les dirigeants européens étant si prompts à capituler, la question ne se pose même pas.
Quant au second argument, la simple expression "relations économiques" laisse probablement aujourd'hui un goût amer dans la bouche de quiconque est sincèrement concerné par la progression des droits de l'homme. Les élites russes se sont considérablement enrichies avec la flambée du prix du pétrole et le renforcement de l'emprise des fidèles de Poutine sur les industries. Les autocraties ne partagent les bénéfices de leurs relations avec l'étranger qu'à hauteur du minimum nécessaire pour éviter les troubles sociétaux généralisés. Quand un dictateur investit l'argent qu'il n'a pas volé dans son pays, c'est pour renforcer la sécurité et la propagande, et non pour œuvrer en faveur de la libéralisation de la société civile. Ces relations économiques eurent en réalité l'impact inverse de celui défendu par leurs partisans, à savoir l'exportation de la corruption de la Russie vers ses "partenaires" du monde libre. Ces masses d'argent du pétrole ont également bien servi à l'étranger, achetant du respect là où il ne pouvait être mérité. [= JO de Sotchi, Coupe du monde 2018]
Poutine n'est pas un grand stratège. C'est un joueur de poker agressif qui n'a face à lui qu'une faible opposition de la part d'un monde occidental devenu si peu enclin à prendre des risques qu'il se couche plutôt que de bluffer, même quand il a de bonnes cartes en main. Au bout du compte, Poutine est un problème russe, bien sûr, et les Russes doivent trouver une façon de le régler. Cependant, cet homme et son régime répressif sont soutenus -- directement et indirectement -- par le monde libre et sa politique de conciliation à sens unique. N'oublions pas les souvenirs douloureux dus au danger fatal qu'il y a à vouloir discuter avec un dictateur, à se montrer désunis face à l'agression et à se jeter avec avidité sur une paix éphémère qui ne fait que garantir une guerre prolongée.
[...]
Les dirigeants occidentaux se sont régulièrement plaints du coût potentiel d'une action en Ukraine, pour finalement se voir imposer le fait historique bien établi que celui de l'inaction est toujours encore plus élevé. [...] La meilleure raison d'agir dès aujourd'hui pour arrêter Poutine est d'une simplicité lumineuse : ce sera plus difficile encore demain."
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 100 livres
Créée
le 20 déc. 2017
Critique lue 239 fois
Du même critique
Une très bonne adaptation en série du livre éponyme de Philip K. Dick, où le Japon et l’Allemagne ont gagné la Seconde Guerre Mondiale et se partagent les Etats-Unis. La série prend des libertés...
le 19 déc. 2017
3 j'aime
Quand la trame d’un film est très claire quasiment dès le départ, la seule chose pouvant rendre le film intéressant à mon sens, c’est le voyage proposé par le réalisateur, qu’il soit esthétique ou...
le 20 déc. 2017
2 j'aime
Cette adaptation du livre du Frank Herbert est pour moi tout ce qu’on peut rechercher dans une adaptation : le réalisateur, David Lynch, s’attribue une certaine latitude, notamment dans les rôles, le...
le 19 déc. 2017
1 j'aime