Quarante piges et je découvre la prose argotique de San Antonio.
Avec le plaisir du bordel sémantique, de la foire aux jeux de mots foireux, des tartines de vulgarité dessous le polar. Dans le sillon d'un inspecteur verbeux sans concession. Droit comme les flageolements indécis du jour le jour. Tout un cinéma d'arrière-garde dans les dessous pestilents des corps animaux. Ici, une mission assassine débutée sur la Croisette emmène l'inspecteur San Antonio jusqu'aux abords apparemment tranquilles d'un lac suisse au milieu des vertes montagnes. Presque des vacances. Si n'était l'opiniâtreté de l'inspecteur au récit. l'ouvrage se dévore tant
la gouaille jacte sans tergiverser d'éructations volatiles et de digressions volages.
Tant le rythme s'écoule aux montagnes argotiques des mots. Si l'auteur a soigneusement choisit une forme de littérature de gare pour raconter les bas-fonds de l'âme humaine, ce n'est pas innocent : l'homme y sent le rance, y transpire à l'œil nu les petites manipulations sordides. Et le volume ne respire plus que ces mots veules, à l'image dégueulasse de ce qu'il raconte.
Partout où il va, l'homme « cononise ». Dans ses bagages, il
emporte toujours des paquets de révolte, des boîtes d'hypocrisie, des
flacons de bêtise ; sans parler de ce qu'il sécrète, de ce qui
dégouline de lui. Il lui sort des ondes et des résidus de partout, à
l'homme. Mais son fumier n'est pas fertile.
Je ne vous ferai pas le détail de l'aventure, allez-y, il y est question d'arnaque et ça se lit en cinq cinq.
Cinéma sur l'écran des mots, personnages entiers, caractères trempés, solides : les relations humaines ne sont qu'affrontements. Une culture de la rue pour
chanter de merde les travers avide de la bonne société :
San Antonio sait que tous les hommes, comme lui, ne viennent que du caniveau et ne finiront que poussière en terre après s'y être écroulé, ferment infertile que seule la nature peut avaler sans sourciller. Le plaisir primal des enquêtes du bonhomme tient là, dans la lumière posée sur les ombres que traîne l'âme humaine.
Alors oui, Y'a de l'Action aussi : ça castagne, ça baise, ça se chamaille et ça se toise, ça s'échappe, ça se faufile, ça manipule et ça complote, ça s'imbrogliote. Frédéric Dard,
sous la langue râpeuse et amère de l'inspecteur en titre,
manie à merveille – au-delà des mots – les enchevêtrements et les imbrications du roman policier, avec l'art de toujours retomber debout dans ses godasses, presque propre et sans encombre, après le défilé incessant du verbiage.
Il faut que la prose déjectionne, sinon elle se constipe, et rien
n'est plus sinistre qu'une littérature constipée.
Pas de problème : ça chie, ça dégueule, ça fouette, ça dégobille en tête.
Confirmation des ouïes-dire, San A, ce n'est pas de la grande littérature. N'est pas chez Balzac ici. Le réel est sordide, l'homme ne fait que chercher noises à l'autre. Frédéric Dard s'en donne à cœur-joie de trifouiller
les relents crasses sous l'éclat des sourires et des peaux.
Y'a de l'Action et du verbe, le plaisir intense de se laisser transporter dans un univers délétère, de lire la décadence de nos sociétés déshumanisées où pourtant, dessous le marasme ambiant, la flamme des innocents chauffe encore en quête d'espoirs. La découverte est séduisante de ses atours vifs, de son argot simple et des jouissances verbales qui tâchent la prose de bout en bout, comme glissée sous les gogues avant impression : toute la misère à nu des bassesses et des faiblesses urbaines des anxieuses hyènes en cage que nous sommes, condamnées à tourner entre les barreaux qui font l'horizon de nos existences.
La peinture sociale est sans faux-semblants,
ça pue l'homme,
ce fauve hargneux et cannibale.