En 2015, Philippe Charlier, docteur en médecine légale, anthropologue et spécialiste des enquêtes historiques, se lançait dans une aventure à Haïti : obtenir des informations scientifiques sur les zombis, au cœur du culte vaudou, mélangeant des rites religieux d’Afrique de l’Ouest (des cas y ont été répertoriés) et du christianisme. Il nous prouve que dans cette île des Caraïbes, ce phénomène est une réalité et il s'appuie sur plusieurs cas avérés. Des personnes sont considérées comme mortes, empoisonnées sans doute à la tétrodotoxine qui se trouve dans le Fugu, le fameux poisson-globe japonais, dont une dose infime suffit à causer de graves troubles neurologiques et physiques. Enterrées 24h après la constatation du supposé décès, ces personnes se retrouvent déterrées et deviennent la propriété de celui ou celle qui les ont sorties de la tombe, dans un état comateux, amorphe, entre le mort et le vivant. Attention, rien à voir avec la figure terrifiante que le cinéma, les séries et la littérature ont décrite depuis longtemps. Il s’agit d’un individu accusé de crimes graves et qu’on a privé pour cela de son libre arbitre et même de son identité, une sorte de punition à la place d’une justice souvent inexistante, orchestrée par des sociétés secrètes comme les Bizango, garantes d’un certain ordre social et ouvertes uniquement aux initiés. Les familles finissent parfois par retrouver ces êtres des mois voire des années après les obsèques, ce qui n’est pas sans poser de lourds problèmes administratifs et juridiques puisque la personne retrouvée…est censée être morte et n’a plus d’existence légale ! Les séquelles d’un tel traitement, pour ceux qui s’en sortent, peuvent être irréversibles.
Ce phénomène de « zombification » et sa persistance dans le temps peuvent en partie s’expliquer par les défaillances de l’administration haïtienne : par tradition, les obsèques doivent avoir lieu 24h au plus tard après le décès, et inutile que ce dernier soit vérifié par un médecin légiste (seuls 2 témoins suffisent…). Le fossoyeur se charge juste de l’inhumation. L’état civil est aussi plein de failles dans ce pays pauvre, rendant possible assez facilement des disparitions ou autres usurpations d’identité. L’auteur s’interroge aussi sur le rôle de troubles psychiatriques dans cette société complexe et qui pourraient expliquer certains de ces phénomènes comme la schizophrénie ou nécromimie ou « syndrome de Cotard » une sorte de « zombie psychiatrique » où le patient est persuadé de ne pas avoir de corps ou d’être mort. Si Charlier démontre le rôle du poison dans le phénomène de « zombification », la suite est moins claire, encore entourée de mystères (comment ces êtres peuvent-ils rester en état comateux ? Ingestion, absorption ou contact quotidien avec du poison ???...), certaines questions restent irrésolues. L'enquête est fouillée, très intéressante, l'auteur ayant rencontré des prêtres vaudou ainsi que des patients considérés comme zombis, une enquête entre toxicologie, médecine, magie et religion. Philippe Charlier en 2024 et 2025 est le commissaire de l’exposition « Zombis, la mort n’est pas une fin ? » au Musée du Quai Branly.