"Zomia ou l'art de ne pas être gouverné." Ça, c'est un titre!! Zomia est un terme d'origine tibéto-birmane, qui veut dire "gens des montagnes." Il est depuis peu utilisé pour désigner un territoire couvrant environ 2,5 millions de kilomètres carrés en Asie du Sud Est, soit une large partie des hautes terres de six pays (Birmanie, Laos, Thaïlande, Vietnam, Cambodge et Chine).


C'est un territoire qui n'a bien sûr pas d'existence ou d'unité officielle, et qui se caractérise au contraire par une diversité ethnique et linguistique exceptionnelles. Un territoire qui, si vous demandiez l'avis des États concernés, est uniquement habité par des barbares, des primitifs vivant aux marges de la société, nos ancêtres vivants. Mais qui en fait a surtout pour dénominateur commun un ensemble de pratiques et de stratégies de mise à distance de l'autorité étatique (nomadisme, glanage et habitat dispersé, cultures orales et parentèles éclatées).


C'est assez fascinant, quand on y pense. À première vue, on aurait presque envie de faire venir Frédéric Lopez pour un Rendez-vous en terre inconnue. "Nos premiers ancêtres, nos premiers ancêtres," dirions nous. "La sagesse des anciens, les bons sauvages vont nous apprendre!!"


Or ce qu'on découvre assez rapidement, c'est que ce sont des cultures et des ethnies entières qui ont fait il y a fort longtemps le choix très conscient d'échapper à la soif de domination des États et à leur force normalisatrice (impôts et cadastres, recensements et conscription, esclavage et servitude). Et depuis deux mille ans, d'autres fugitifs les ont rejoint, ce qui a nourri ce contre-modèle de société: refus du chef et de l'autorité, de l'accumulation foncière et de la centralisation; pastoralisme, distribution de la parole et pour certains, jusqu'à l'abandon de l'écriture et de son emprise sur l'identité.


Depuis la seconde guerre mondiale, les États-Nations peuvent compter sur un certain nombre de "technologies destructrices de distance" pour nourrir leur appétit de conquête. Les voies ferrées et le téléphone, les routes carrossables et les avions ainsi que les hélicoptères ont permis aux zélés agents de la civilisation de réduire ces "cultures fugitives" en peau de chagrin. Et alors avec les nouvelles technologies...


Mais je trouve assez fascinant qu'un territoire aussi vaste (2,5 millions de kilomètres carrés, 100 millions de personnes réparties sur six États) ait pu ainsi résister pendant deux millénaires à l'appétit prédateur des États. Voilà qui fait penser entre autres aux Tibétains et aux Rohingyas, mais qui tranche singulièrement avec la version officielle. On peut aussi faire le rapprochement avec les relations arabo-berbères, ou avec la situation des Kurdes du Rojava. Et par les temps qui courent, c'est à tout le moins une belle oasis intellectuelle...

MaxVeryWell
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le 15 févr. 2022

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