Zones humides par Brice B
Un matin d'insomnie comme un autre, allongé sur mon canapé, enroulé dans un plaid, je savourai le réveil de Paris : le bruit des volets métalliques des cafés qui reçoivent leurs livraisons, les premiers passages de l'ascenceur, les premiers voisins qui partent travailler, la teinte bleutée que prend ma cour d'immeuble, et qui innonde mon appartement de cette même lumière que les jours de pluie. Une envie de lire, évidemment.
Voilà qui tombe bien, puisque j'ai reçu de l'agence Sixandco la semaine dernière un premier roman, vendu à déjà plus d'un million d'exemplaire en Allemagne, nous informe le communiqué de presse. Zones Humides, de Charlotte Roche. Un titre sulfureux pour un roman qui ne l'est pas moins, et dont le contenu semble être totalement aux antipodes d'une lecture matinale.
Comme entrée en matière, Hélène nous présente la situation sans détours. Elle a des hémorroïdes qui se sont infectés, qu'elle adore gratter et triturer. On y apprend également que "ça fait un bail, depuis mes quinze ans – et j'en ai dix-huit – que la sodomie me réussit très bien". Pour l'essentiel, le ton est donné. Elle nous livre donc, pendant les 226 pages que fait ce roman, le récit de son hospitalisation. Et dans l'ensemble, tout est fidèle aux premières lignes. Hélène est donc une jeune fille en lutte contre l'hygiène intime, qui se masturbe aussi souvent qu'elle se fait prendre, qui adore les sécrétions de son corps, et surtout celles qui sont jugées comme sales et honteuses par la société. Quand elle ne mange pas les croutes de ses plaies, et qu'elle ne lèche pas ses doigts après les avoir trempés dans son vagin, Hélène fait profiter à tous de ses règles en dissemant ça et là ses tampons fait maison.
Ce n'est pas vraiment l'histoire, qui est intéressante. A vrai dire, le livre en soi est un abysse d'immondices humaines, regroupant en quelques pages et avec juste ce qu'il faut de lisibilité le maximum de répugnances sociales liées à l'intime et à l'hygiène. Hélène le résume elle-même dans son récit, "je suis mon propre vide-ordure. Une recycleuse de sécrétions corporelles". Pas besoin de plus d'illustrations, la lecture fut assez riche en nausées pour que je vous épargne d'autres exemples.
Le vrai mystère de Zones Humides, c'est son succès. Car contrairement à ce que certains pensent, ce n'est pas un roman pornographique. Les choses sont crues, mais à aucun moment l'auteur ne cherche à stimuler sexuellement le lecteur, l'incitant une masturbation entrecoupée d'un feuilletage maladroit. Alors, qu'est-ce qui explique ce million de livres vendus outre-Rhin ? C'est la question qui agite depuis quelques mois la société allemande, et dont Arte s'est fait le relai par le biais d'un documentaire visionnable uniquement la nuit.
A l'occasion de la sortie française du livre (dont 27 pays ont acquis les droits de diffusion) chez Anabet, une maison d'édition peu connue à cause de son catalogue particulier, et qui a eu le nez fin en achetant les droits avant que le succès ne soit au rendez-vous, l'auteur Charlotte Roche sera sur Paris pour assurer la promotion du livre. Je garde de son roman un souvenir teinté d'un peu d'interrogation et de beaucoup de dégoût.