J'me permets de féliciter d'abord les éditions Mnémos, qui ont fait un excellent travail dans cette réédition de l'oeuvre fantasiesque de Clark Ashton-Smith (avec préface et note d'intention), ami de Lovecraft, qui écrivit tout comme le maitre de Providence dans le magazine Pulp Weird Tales, et fut un grand précurseur de la Dark Fantasy.
Dans ce recueil, ce sont les nouvelles autour de Zothique, continent crépusculaire éclairé par un soleil mourant, qui sont mises à l'honneur. Dans des récits d'inspiration très lovecraftienne et dunsanienne (qui ne dépareilleraient pas dans un poème symboliste), Ashton-Smith mêle des liches, des nécromanciens, des dieux âgés de millions d'années, des cités en ruine dévastées par quelque fléau abominable, la perversion sexuelle, le spleen baudelairien, des sorciers vicelards et maléfiques, la liste est longue, mais lisez un peu cet extrait pour vous donner une idée de la chose :
"Ainsi étaient conservés les souvenirs soigneusement choisis d'une multitude de personnes qui avaient inspiré au roi et au magicien l'ennui et le dégoût. Sur des troncs palmés, sous un feuillage touffu et duveteux, pendaient en grappe, à la façon de drupes noirs, des têtes d'eunuques. Sur un arbuste nu et rampant fleurissaient les oreilles de gardes inconséquents. Des cactus déformés, couverts de cheveux féminins, produisaient des fruits en forme de seins. Des torses et des membres entiers avaient été unis à des arbres monstrueux, des coeurs palpitaient sur les plus larges feuilles, des yeux cillaient au centre de petits boutons floraux. Et il y avait d'autres greffes encore, trop obscènes ou répugnantes pour être ici relatées."
Le jardin d'Adompha, p.242.
L'intérêt des récits de Clark (Ashton-Smith, pas Kent) ne se situe ni dans ses dialogues, qui sont basiques, ni dans ses personnages, qui sont généralement réduits à un ou deux traits de personnalité, mais dans son univers, son atmosphère de lente décrépitude d'un monde qui retourne au néant, qui est créée par un style baroque, étrange mais accessible, qui se base surtout sur la musicalité des mots : "Mon idéal conscient est d'amener le lecteur à accepter une impossibilité, ou une série d'impossibilités, grâce à une sorte de magie noire verbale pour laquelle j'utilise la rythmique, la métaphore, l'analogie, la tonalité, le contrepoint et d'autres ressources stylistiques, comme une sorte d'incantation."
Lettre à Lovecraft, p.301
PS : Si vous lisez Zothique, je vous conseille de le faire tout en écoutant l'incroyable album Leviathan d'Alt 236, il faut l'entendre pour le croire.
Et pour ceux qui se demandent, l'illustration de couverture est une toile de Zdzislaw Beksinski.
Note : 7,5.