Lapointe droit dans le cœur
Le problème avec Boby Lapointe, c'est qu'il chante des chansons joyeuses. Des jeux de mots laids pour gens bêtes, des calembours en bas de laine, son intelligence fine et perçante comme une paire de jumelles, la joie, le rire, l'enthousiasme de l'enfant que le langage amuse, plus tard, les grivoiseries qui deviennent compréhensibles.
Le problème, avec Boby, c'est que parfois, il chante des chansons tristes. Sous leurs faux airs entraînants, qui se la jouent mi-figue, mi-raisin, mais il suffit de connaître le reste pour voir la différence. La fille du pêcheur a une petite sœur, Marcelle aussi, les filles sont antibaises mais elles donnent des angevines de poitrine, et puis parfois, des petits couacs : la Castille, ça n'est pas l'Aragon, les poissons se mangent avec du citron, Léon s'était fait mal dans la rue, les Katie te quittent, les anges s'en vont, et puis Léna Léna Léna Léna je, mais, enfin, ça reste relativement supportable.
Et puis, ouais, Ça va ça vient. A-t-on idée ?
Franc comme un garçon amoureux, Boby, avec son sourire trémolo quand il parle de ton petit nez, sa langue aussi simple que ses rimes sont riches, et c'est bien le problème, pas vrai, le fric qui te tient par le bout du cœur. Amoureux d'une comptable, et on sent, on sent tout quand il chante avec cette douceur-là, sa voix qui ne se force pas, et pourtant l'effort qu'il fait pour essayer de te faire revenir, l'effort qu'il ferait si, et c'est ce si qui est pire encore, l'espoir dessous — et on sait ce qu'il advient aux hommes qui vivent d'espoir. La pudeur quand il chante "la pudeur" ; tout ce bonheur dont il nous parle qu'à peine, qu'avec peine, parce que, oui, ça va, ça vient.