Dead
Dead

Morceau de Khanate (2003)

Le clip de "Dead", qui reprend une version écourtée de la chanson, est réalisé par Alex Sabatelli et Niklaus Schlumpf, et monté par Alan Dubin, le chanteur-même de Khanate.

Il met en scène un homme qui a tout l'air d'une figure-type de Golden Boy craquant son slip Dolce & Gabanna, totalement déboussolé après un burnout, une crise financière dont il est probablement à l'origine ou une propre crise de la quarantaine non digérée. On pense alors à de nombreuses figures déjà portées sur écran, du tueur d'"American Psycho" à Jérôme Kerviel (qui a quelques traits en commun avec l'acteur de "Dead", non ?), en passant par le Michael Douglas de "Chute Libre" (non dénué de lien avec son rôle de Seth Gecko dans "Wall Street") et son versant azimuté par Disiz la Peste dans le clip de "J'pète les plombs".

Coincé dans un couloir étroit et sombre face à un miroir, il semble faire remonter à la surface toute sa crasse, sa purulence, son dégout de lui-même, son trop plein de conscience, son inadaptation au monde et son impossibilité d'y faire face. Les paroles du morceau vont dans ce sens, enchaînant les jugements de soi négatifs imbibés de regrets et d'amertume (beaucoup de « awful » notamment), balancés tels un anti-requiem pour soi-même, une prière incantatoire quasi chamanique.

Le ton est donc clairement défini : cette mise en scène de suicide se veut sombre, torturée, pessimiste, désespérée, inquiétante... le tout porté par une musique violente, dissonante, distordue et abrasive. Sur la fin du morceau, il semble que ce soit La Faucheuse elle-même qui chuchote à notre oreille, pendant que tous les membres du groupe agonisent en s'accrochant en tremblant à leurs instruments. Et ce ton est donné dès les premières images du clip, qui sont en accord avec la musique, presque imitatives, chaque note étant accompagnée d'un flash lumineux bien que crasseux issu d'un tube à néon – phare de notre temps loin d'être le fard de nos visages.

Le lieu évoque assez bien l'état d'esprit du personnage à ce moment : coincé face à lui-même, concentré face à un abîme insondable, rongé par le spleen, tête baissée dans ses eaux les plus profondes, écrasé et replié sur lui-même, frustré de ne pouvoir libérer son âme de la lassitude plombée par les catacombes de son propre temple apollinien. Cet homme n'en est presque plus un ; il est un freak, une « erreur » (comme s'auto-qualifie le personnage de Jude Law dans "La Sagesse des Crocodiles"), un rebut de l'humanité ne méritant même pas d'être vu.

Ce dispositif spéculaire et crasseux se retrouve dans un autre clip à l'esthétique assez similaire, Sabrina, du groupe Einstürzende Neubauten. Point de suicide dans celui-là, mais l'introspection semble avoir aussi créé des ravages, annihilant l'humanité pour faire ressortir une bestialité honnie et révélée par le miroir.

Cette animalité se retrouve parfois dans le clip de Dead, quand le visage du suicidant apparaît déformé par sa colère, sa peur, sa mort, sa probable ''schizophrénie'', en même temps que sa vision de lui-même se dédouble au moment de cette introspection ultime, à la fois face à sa propre image dans le miroir et face à lui-même dans ce détachement de soi final coïncidant avec sa mort. Quand la réflexion (dans toutes les acceptions du terme) créée par le miroir se retourne contre soi-même...

La solution finale ne semble alors être que de faire éclater en mille morceaux ce crane causeur de tant de troubles. Cette explosion fragmentée, non-réaliste, ressemblant visuellement à la "Tête Raphaëlesque Éclatée" de Dalí, évoque plus un éclatement de la conscience qu'une vraie destruction corporelle. En prenant également en compte la façon dont cet acte est montré, au ralenti et en très gros plan, on peut alors penser à la fin du film "Fight Club", quand [beware, SPOILER !] le personnage d'Edward Norton se tire une balle dans la tête pour éliminer son ''sur-moi'' Tyler Durden.

Et quand le sang gicle et se transforme en l'air en confettis de roses rouges, la libération est totale, le nirvana proche, comme dans les séquences oniriques d'"American Beauty" (sorti en 1999 comme "Fight Club", et lui aussi film exemplaire d'une période fin de siècle, tant dans son état d'esprit que dans ses modes de représentation). Ce qu'il y avait de plus profond en cet homme, pour paraphraser Paul Valéry, était donc sa peau, coquille désormais brisée libérant le flux de conscience. Et celle-ci est d'autant plus profonde quand l'individualisme est poussé à ses limites.

On pourrait ainsi voir ce clip comme une véritable critique du monde contemporain, du Golden Boy au « self improvement » caricaturé par "Fight Club" (ou par "Amercan Beauty", encore une fois).
youli
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le 5 févr. 2012

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youli

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