Si la Folie devait être un clip musical, elle serait à n'en pas douter « Frontier Psychiatrist ». Comme son nom le suggère, ce morceau de The Avalanches flirte et même franchit allègrement les bornes de la rationalité pour nous emmener dans un monde totalement foutraque et baroque.
Ce monde est matérialisé dans cette vidéo par une scène de TV Show à l'américaine, où s'anime et s'exprime un bestiaire absolument incroyable : un vieux travelo bourgeoise et un macaque à la batterie, un trio bavarois (?) aux cuivres (ou plutôt aux caoutchoucs), un chœur de fantômes d'opérette, un duo d'intellectuels psychiatres en pleine argumentation dialectique (mais qui tourne en boucle), un faux ventriloque et sa marionnette à tête de noix-de-coco, une tortue à tête d'humain vieillard (où se trouve l'humain à tête de tortue ? Cowabunga, il n'y en a pas !), deux cow-boys noirs aux cheveux lissés habillés en blanc / noir (the Bounty syndrom?) dans un duel épique main versus kazoo, un dompteur de serpent indo-allemand, un disc-jockey squelette borgne à l'œil d'or accompagné de sa petite vieille, un Little Big Man chef indien, un homme de loi britannique tenant son Habeas Corpus avec ferveur, un marin type J.-P. Gaultier, un bien trop grand bébé Cadum et sa maman présentateuse de cadres liés (Malévitch n'a qu'a bien se tenir), une contorsionniste femme-scorpion, une vendeuse de télé-achat mordue de son mixeur, Tcheky Karyo (?!?) en écrivain dépressif (pléonasme), des violonistes japonaises (of course) en uniforme (bis), un dentier danseur de claquettes, une pom-pom girl à la retraite fouetteuse de cheval déculotté, un hypnotiseur cousin de 'Gob' Bluth, un coucou bouffé par le frère du greffier de Sabrina la sorcière, une danseuse égyptienne de Las Vegas, une écolière accompagnée de son ami souffleur (les oiseaux sont tous des tricheurs, c'est bien connu) et sa maitresse d'école pédophile (selon Nicolas S.), Môsieur Philippe Côrty au scratch, et des musiciens péruviens Max Havelaar (ce qui nous préserve au moins d'une invasion de cochons d'Inde géants).
Le tout est évidemment placé sous le signe de la psychanalyse, qu'elle soit illustrée ou tout simplement incarnée dans la forme même du clip, qui ressemble au fonctionnement détraqué d'un inconscient humain, avec ses symboles et ses idées fixes en boucles (à ne pas confondre avec les poils bouclés d'Idéfix). Pour finir en beauté, un vinyle géant traverse la scène en roulant : « Ski Surfing With The Avalanches », est un des albums préférés du groupe The Avalanches (et qui est à l'origine de leur nom, vous l'aurez deviné), œuvre d'un « groupe de surfeurs américains des Fifties qui ne pouvaient travailler en hiver et ont donc formé un groupe de 'ski-surf' » (dixit Robbie Chater, membre du sextet). Imparable...
The Avalanches, très très loin d'un DJ-ing « stop n' play » à la David Guetta (aka « le-DJ-capable-de-mixer-les-bras-en-l'air »), composent avec un nombre incalculable de samples (l'album Since I Left You dont est extrait « Frontier Psychiatrist », unique LP du groupe pour le moment, en contiendrait 3500). Pour autant, l'ensemble est cohérent, ne souffrant jamais d'un « syndrome de Frankenstein ». La bouillabaisse prend et on est emporté sur une vague musicale faîte de centaines de flocons de neige merveilleux et multiples, comme ce mineur est emporté par la grâce de la danse dans l'autre clip phare de The Avalanches, « Since I Left You ».
Le réalisateur du clip « Frontier Psychiatrist », Tom Kuntz (aidé par son acolyte de toujours Mike Maguire), a du composer avec une donnée rare dans le domaine : le morceau était déjà tellement riche, tellement medium d'un monde fourmillant de bizarreries que le mieux était encore de trouver une forme adéquate pour illustrer les différents samples entendus. C'est ce qu'il a ainsi fait avec brio, laissant libre cours à son imagination stimulée puissance 1000 par un morceau comme celui-ci, proposant un monde merveilleux mêlant vie moyenne d'américains moyens de bourgades moyennes situées au milieu moyen du pays et visions folles et iconoclastes, dans la pure tradition du cinéma de David Lynch (de la « chambre rouge » de Twin Peaks : Fire Walks With Me – Twin Peaks : Feu marche avec moi en version québécoise – au sitcom Rabbits visible dans INLAND EMPIRE).