Fragments d'un discours sur l'amour
Mathieu, jamais aucun express ne l'emmènera vers la félicité, aucun autre tacot, concorde, navire, trolley, vapeur que celui qui les ramènera là-haut, tout là-haut dans l'espace. Cette chanson est un billet aller sans retour, le chant qui monte dans un grand ascenseur de verre sur une ligne de corde élastique — les câbles (c'est la basse dans la version live). Mathieu se pointe à la porte, pas invité, elle ouvre : l'espace entre eux, ce court espace bien terrestre, c'est d'abord celui-là qu'il faut reprendre, la distance entre un petit détour et un petit futur. Puisque même l'avenir le dit…
Ils le disent en souriant, lui et l'avenir, ça serait bien que son sourire à elle vienne compléter le fragment manquant. Je vais pas te promettre la lune, qu'ils disent, ni nommer une étoile après toi, mais pourquoi pas un tour de grande roue, un tour de Grande Ourse, aller voir si nous sommes alignés ?
Un petit futur, tout petit futur à apprivoiser, et pour le faire, une aspiration rythmique — ça y est, tu m'écoutes ? — et ça commence : une dentelle de notes, peu à peu trouée de soupirs, des silences de solfège, des respirations fabriquées, qui s'allongent à la fin des 3:37. Et le long de cette longue éclaircie (et qu'est-ce que le temps est long quand on veut regagner l'espace !), des embarquées sauvages, quelques herbes folles, un accord qui dissonne au coin d'une phrase. Mathieu voudrait que ça soit aussi clair, aussi lisse que lui, une surface plane, elle verrait bien l'horizon comme il est joli d'ici, et d'ici on pourrait se propulser là-haut, non ? C'est une chanson simple, parce que c'est une émotion simple, une pensée simple, qui ne s'ose, ne se donne, ne s'abandonne à la toute-puissante-toute-écrasante réponse que parce qu'oser ne peut qu'être complètement. Tentative un peu roublarde d'échanger sa certitude contre un tour de manège.
Il y va des chansons comme des auteurs, parfois, sans qu'on sache trop comment, sans qu'elles n'utilisent les mêmes mots, sans qu'elles n'évoquent une situation vécue, bien, enfin, qu'elles aient guère à voir avec nous, elles expriment farpaitement un fragment de nous. Pas besoin de grandiose, c'est un miracle tranquille — et moi, si on me demandait une seule chanson, pas ma préférée ni celle qui me correspondrait le mieux, mais celle dans laquelle je me retrouve, ça serait L'espace. Cette chanson, c'est mon billet de retour, le juste contrepied d'Aucun Express, sa juste conclusion, pour reprendre place tout là-haut dans l'espoir, n'est-ce pas, le ciel est clair, on y voit bien, le vol sera tranquille.