ça c'est dur. Noter une chanson qu'on a aimé, et qu'on n'aime plus.

Pas par lassitude ni par usure - pas du tout. A cause des paroles, qu'on n'écoutait qu'à moitié. Qui coinçaient à moitié, mais bof...

...et un jour on finit par comprendre ce qui coinçait...

Le métèque de Moustaki, c'était très cool et très classe, la liberté, la simplicité, le mépris du racisme, la poésie de l'errance et tout...

La chanson commence très bien. Cette façon de se traiter soi-même ( le pléonasme est utile ici ) de gueule de métèque, direct, sans intro, très tranquillement, avec la guitare minimaliste qui fait super bien son job...

Le mot est violent, très utilisé au XXeme siècle, racisme ordinaire beauf, il servait à insulter tout ce qui est basané, arabes surtout, noirs, métis, latinos... jamais utilisé dans un sens positif, jamais revendiqué pour s'auto-qualifier, même par bravade. Moustaki est le premier et le seul chanteur à l'avoir fait, à ma connaissance. C'est aussi le titre et les mots que tout le monde a retenus, ils sont répétés au début de chaque couplet, donc ça imprime.

Ironiquement, Métèque ( μέτοικος ) était le terme utilisé par les grecs de l'antiquité pour désigner les étrangers, et Moustaki, né en Egypte de parents grecs de religion juive, ne peut pas ignorer cette étymologie. Il l'a forcément en tête quand il se traite dans une même phrase de métèque, de juif errant et de pâtre grec. Il y a donc dès les premiers mots un défi lancé ( très calmement ) au racisme, ET un clin d'oeil érudit, ET une évocation très intime de sa famille, de son enfance, d'où il vient, comment il est perçu par les français "normaux"... aujourd'hui on dirait "il a des origines" ;)

...et ça continue bien : et mes cheveux aux quatre vents, en quelques mots simples on a l'ébouriffé par le vent, le mal peigné, et en même temps l'idée des lieux où chacun peut entrer et sortir à sa guise ( ouverts aux quatre vents ), le vagabondage, les nuits à la belle étoile....et, ce qui ne gâte rien , c'est beau et ça sonne !

...et ça continue fort :

Avec mes yeux tout délavés qui me donnent l'air de rêver, moi qui ne rêve plus souvent

Avec mes mains de maraudeur, de musicien et de rôdeur qui ont pillé tant de jardins

Avec ma bouche qui a bu, qui a embrassé et mordu sans jamais assouvir sa faim

...on commence, en douce, à avoir cette nuance de prédation qui s'insinue...mais pas au point d'en être gênante. Dans l'esprit de l'époque ( début des années 70 ), on trouvait normal et très cool de piquer dans les magasins, de s'enfuir sans payer au restau, de voler les livres dans les librairies ( on disait "libérer " un livre ) etc. Piller des jardins, c'est un peu différent, beaucoup moins sympa, mais ça disait la faim et la bohème...les nomades contre les sédentaires...le vagabondage contre la propriété...ça passait.

C'est ensuite que ça se gâte :

Avec ma peau qui s'est frottée au soleil de tous les étés et tout ce qui portait jupon

Avec mon cœur qui a su faire souffrir autant qu'il a souffert sans pour cela faire d'histoires

Avec mon âme qui n'a plus la moindre chance de salut pour éviter le purgatoire

"Tout ce qui portait jupon", déjà, c'est vraiment ramener les femmes à un troupeau dans lequel on se sert sans distinguer les individus. Les nommer par le jupon, c'est juste une façon "poétique" de dire "tout ce qui a une chatte", en fait. Peu importe qui tu es, du moment que tu as un sexe féminin, je prends. Sympa. Au passage, "tout ce qui porte jupon" c'est réac et sexiste à une époque où, justement, les femmes avaient conquis, de force, le droit de porter des pantalons, de ne plus toujours être en jupe ou en robe, CAD dire ouvertes, sexe accessible au mâle. On a un peu l'impression que, dès qu'il parle des femmes, Moustaki passe direct dans le camp des beaufs et pense avec leurs catégories...

...et qui se vante d'avoir fait souffrir, comme si c'était une compète où il faut gagner, marquer autant de points que l'autre, vue comme un adversaire ? Avoir SU faire souffrir, AUTANT qu'on a souffert...c'est bizarre comme conception des rapports amoureux, non ? Sauf qu'on ne parle ici visiblement pas d'amour, juste de consommation, si on comprend bien "tout ce qui portait jupon". Le "sans faire d'histoire" confirme : pas d'affect.

...et on finit le couplet sur une fausse note : une âme qui n'a plus la moindre chance de salut, elle va EN ENFER. Le purgatoire ( concept inventé tardivement, entre environ l'an 400 et l'an Mil, pour justifier qu'on fasse des dons matériels à l'Eglise pour adoucir le sort de nos morts, idée juteuse, immense source d'enrichissement pour le clergé ), le purgatoire donc, c'est réservé aux âmes qui ont encore des chances de salut, après une période + ou - longue en camp de rééducation...mais dire qu'il était destiné à aller en enfer, c'était sans doute trop difficile pour Moustaki, alors on joue sur les mots, on louvoie, on trichote...

...et ça ne s'arrange pas avec :

Je viendrai ma douce captive, mon âme sœur, ma source vive, je viendrai boire tes 20 ans

Et je serai prince de sang, rêveur ou bien adolescent comme il te plaira de choisir

Et nous ferons de chaque jour toute une éternité d'amour que nous vivrons à en mourir...

donc là on a carrément la douce captive ( merci ! ), et en contradiction immédiate l'âme soeur ( qui suppose + ou - une sorte d'égalité, non ? et l'idée d'une personne unique qui nous correspond, on est loin de "tout ce qui porte jupon, tout à coup, on revient à la définition ultra classique de l'amour : donc le monsieur, soit il choppe tout ce qui bouge sans faire d'histoire, soit il veut une "âme soeur" qui l'attend gentiment qqpart, pas d'autre possibilité, pas de place pour imaginer une relation amoureuse différente des 2 schémas, les Filles Faciles ou la Parfaite Pure ), et la source où il va boire, donc la relation vue comme une consommation toujours, avec le ma de possession au cas où on n'aurait pas saisi.

C'est Lui qui VIENT, Elle est passive, elle est là, à dispo, et le mâle vient la consommer, cliché tellement classique qu'on le remarque à peine.

Et pourquoi 20 ans ? On dirait la petite annonce dégueu "H 40 ans cherche JF 20 ans" ( bon, en vrai il n'avait pas encore 40 ans quand il a écrit le métèque, mais il prend soin de dire qu'il a beaucoup vécu, qu'il est passé partout, qu'il n'est plus un jeunot, qu'il ne rêve plus depuis longtemps, qu'il a des km au compteur - sauf qu'Elle, au contraire, il faut qu'elle soit toute neuve ! Ben voyons ).

... et c'est sympa de lui donner le choix entre "prince, rêveur ou adolescent", mais pourquoi il veut être, pour elle, tout sauf celui qu'il est vraiment ? Pourquoi jouer des rôles ? Parce qu'une jeune fille, ça doit forcément vouloir un prince, un rêveur ou un ado ( bidon) ?

...et merci pour le boniment, les paradoxes à 10 centimes ( vivre à en mourir ), le niveau d'écriture qui chute dramatiquement, pas grave, on parle à une fille, le baratin habituel fera la blague.

...allez, restons-en là, finalement 4 étoiles c'est bien payé. Disons que c'est pour le début, qui commençait bien, comme toujours.

moranc
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le 10 juil. 2023

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