De plus en plus, je me dis que ce qui sépare fondamentalement les humains n'est plus la gauche et la droite, le progressisme contre la réaction, la complaisance en vers l'argent contre l'écologie, la foi contre la raison mais plus simplement la vie contre la mort.


Il y a d'une part les vivants, qui acceptent la contrainte et la loi naturelle, et qui osent mettre leur propre existence en jeu pour atteindre de plus grands buts. D'autre part (μἐν... δε, les joies du grec ancien) les morts, engagés dans une furieuse jouissance d'une richesse pas seulement fiduciaire, accumulée par des nuées de vivants avant eux, qu'ils s'apprêtent à consumer sans merci.


Comment cette intuition m'est-elle venue? En voyant la mort et la vie côte à côte, lutter au bord de l'abîme. Ou plutôt je les ai entendues dans la passacaille et fugue en do mineur BWV 582, oeuvre composée par le maître à 22 ans et qui contient tout.
Tout, c'est à dire toute la vie de son éveil à son terme, toutes les émotions, le triomphe, l'euphorie, l'orgueil et la fragilité, le courroux et la plainte lancinante jusqu'à la limite de ce que l'âme peut endurer. Le génie de Bach, par ce thème simple, aux enchaînements de demi-tons si caractéristiques de la musique baroque, a encodé tout ce que contient une âme.
Alors que les sirupeuses et pompières toccata et fugue en ré mineur (https://www.youtube.com/watch?v=w-QLSPmzMZo) finissent par ennuyer, une vie entière ne saurait épuiser la profondeur de la passacaille en do mineur.


Il n'y a en effet pas assez d'une existence pour goûter à toutes les interprétations qui en sont données, tant dans la vitesse, l'expressivité que l'orgue sur lequel elle est jouée. Plus que n'importe quel autre, l'orgue est l'instrument technique par excellence, celui auquel l'instrumentiste communique le moins sa puissance vitale : et pourtant, aucun instrument ne touche autant à la profondeur de nos êtres que ce majestueux, monstrueux édifice.


Ma version favorite est celle de Karl Richter [1] :
https://www.youtube.com/watch?v=_W4PJUOeVYw
Il atteint ce point asymptotique où l'accélération du tempo pousse les rugissements de la diabolique machine à coudre à leur paroxysme, sans se hasarder dans le romantisme ni, pire, les adaptations jazzy au nom d'une proximité exagérée entre le Kapellmeister de Leipzig et les pianistes de blue-jazz (Keith Jarrett, etc.)


Je pense que c'est le morceau le plus à même, et le seul d'ailleurs, de pouvoir être joué à un enterrement. Aucune autre musique, et certainement pas les sensibleries romantiques n'embrasse les richesses indicibles de l'existence, expérience sensible, non-voulue, déchirante et belle.


[1] 550.000 vues, 3600 personnes qui ont aimé et 66 qui n'ont pas aimé. L'unanimité répond à l'universalité.

Fabrizio_Salina
10
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le 4 oct. 2018

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Fabrizio_Salina

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