Si vous avez lu la série de critiques de ZeBigNowhere sur ma prolifique carrière, vous savez très exactement dans quelle merde j'étais au début des années 60. Ma carrière de Jazzman ne m'avait rapporté que des humiliations dans les cabarets où j'ramenais ma sale gueule. J'avais pas encore assez de biftons pour pouvoir les cramer et j'ai été à deux doigts de me coller un p'ti trou, juste un dernier p'ti trou entre les deux yeux pour pouvoir enfin obtenir mon quart d'heure de gloire dans la rubrique fais divers de France Soir. Malheureusement je suis trop lâche pour sauter le pas et plutôt qu'en finir et assumer ma médiocrité, je me suis résignais une nouvelle fois à retourner ma veste à double-vison. Après avoir troqué l'art noble de la peinture contre celui de la musique, voici que je tronquais la musique Jazz, seul courant à approcher pour un semblant de beau, au profit de la musique populo destinée à toute la bassesse de la société française.
Bof vous savez c'est pas si compliqué d'écrire une chanson populaire, vous faites une musique entraînante, répétitive et enjouée qui marque les esprits instantanément et le tour est joué. Le reste n'a aucune importance. On s'en fous des paroles, les gamins qui danserons dessus ne les écouteront pas, il suffit qu'il y est un champ lexical respirant la joie, l’insouciance ou l'amour (le plus niais évidemment) et votre public sera conquit. Non ce qui fait toute la différence c'est la gueule. Pour ça que j'ai pas réussit à percer en solo au début, les gens y aiment écouter des gars jeunes, dynamiques et beaux gosses, pas des vieux croûtons de trente piges plus moches que leur grand père. Pour ça que je me suis retrouvé à devenir le nègre de service, portant le flambeau à des "artistes" tels que Claude François.
Et c'est dans cette optique là que le père de France Gall m'a embauché. Ah France Gall ! J'aurais bien aimé la baiser j'avoue, mais j'aurais vraiment eu l'impression d'être un pédophile en le faisant. C'est vrai, quoi de plus beau que l'excise esquisse de cette délicieuse grande enfant de 20 piges ? J'aimais bien son innocence, sa naïveté vis à vis de son succès et la façon dont elle était exploitée par son père comme une vulgaire machine à tubes me fascinait. Surfant sur sa jeunesse, sa beauté juvénile et ses textes niais parlant aux stupides ados des 60's pour se faire de l'oseille, ce mec avait senti le bon filon. Je ne savais que trop bien à quel public j'allais m'adresser si j'écrivais pour France. Alors, j'en ai profité pour m'amuser un peu.
J'ai fait exactement ce qu'on attendait de moi. J'ai composé des musiques simples et entraînantes, bien ancrées dans leur époque et calibrées pour plaire à la jeunesse française. Par contre, au niveau des paroles,sur certaines d'entre elles je me suis bien fait plaisir.
Je pourrais vous citer Baby Pop, dont je suis assez fier, ainsi que Les Sucettes dont bizarrement tout le monde a compris le sens métaphorique plus vite que je ne l'aurais crus (incroyable comme les gens ont l'esprit mal tourné) mais je vais ici m’attarder sur l'un de mes plus gros coups, à savoir Poupée de cire, poupée de son.
Je suis une poupée de cire,
une poupée de son.
Mon coeur est gravé dans mes chansons,
Poupée de cire poupée de son.
Voyez quand je vous disais que le plus important était de conserver un champ lexical positif, si je l'avais qualifié de marionnette, les gens auraient peut-être moins apprécié. Là j'assimile mon interprète à une poupée parce que je trouvais qu'elle avait toutes les caractéristiques physiques pour en être une. Mais au final, le symbole reste le même, pour moi ce n'était qu'un objet tout mignon et bien coiffé qu'on manipulait à sa guise comme un simple pantin. Une poupée de cire, figée dans son image d’éternelle adolescente gentille et innocente dans laquelle les nunuches blondes de 15 piges se reconnaissent. Une poupée utilisée comme une machine à tubes, qu'on traîne à la TV et sur scène comme on tirerait sur la ficelle d'une figurine pour la faire chanter à notre guise en toutes circonstances.
Suis-je meilleur suis-je pire,
qu'une poupée de salon ?
Je vois la vie en rose bonbon,
Poupée de cire poupée de son.
Petite référence à la ménagère féminine composée à l'époque de 70% de donzelles vivant à temps plein dans leur foyer sous la coupelle de leur mâle alpha. A ce moment là je pose sincèrement la question, qu'est ce qui vaut mieux ? Etre une poupée de salon condamné au ménage, à la cuisine et à l'occupation des mormos, ou une poupée de son, enfermée dans un univers rose bonbon et utilisée à des fins commerciales pour plaire au plus grand nombre de jeunes cons ?
Autour de moi j'entend rire,
les poupées de chiffon.
Celles qui dansent sur mes chansons.
Poupée de cire poupée de son.
Elles se laissent séduire,
pour un oui ou pour un nom.
L'amour n'est pas que dans les chansons.
Poupée de cire poupée de son.
La petite n'avait aucune idée de ce que pouvait être l'amour, elle ne savait même pas ce qu'était une sucette c'est vous dire. Elle chantait l'amour pour que les poupées de chiffons se reconnaissent en elle, mais sinon elle, n'avait aucune expérience de ce qu'elle racontait dans ses morceaux.
Seule parfois je soupire,
je me dit à quoi bon.
Chanter ainsi l'amour sans raison,
sans rien connaître des garçons.
Mais un jour je vivrai mes chansons !
Poupée de cire poupée de son.
Sans craindre la chaleur des garçons,
Poupée de cire poupée de son.
Et je termine ma chanson sur une note d'espoir, comme si ma petite se rendait compte de ce qu'elle était réellement et décidait de reprendre les choses en mains en grandissant un peu et en arrêtant de raconter des histoires d'amour artificielles pour se bouger les doigts du cul et vivre les siennes. En plus, chuis pas mécontent d'avoir poursuivit ma métaphore filée en lui faisant craindre que "la chaleur des garçons" lui fasse fondre son corps de cire.
Voilà comment on peut arriver à transformer une chanson populo basique en une critique subtile et grinçante de ce qu'était le phénomène France Gall à son apogée. T'façon, c'est ce qui m'intéressais avec elle, utiliser son image pour la critiquer ou la tourner en dérision. Et si voir la ravissante France Gall quémander gentiment des pipes en suçant allègrement son bâton est une chose qui me fera toujours rire, j'avoue que je suis particulièrement fier de ce morceau détruisant directement le mythe de la chanteuse, en dénonçant cette marionnette commerciale sans expérience de la vie et chantant tous ce qu'on lui demandait sans se poser de questions, ni comprendre vraiment ce qu'elle était entrain de raconter. Car non seulement j'ai réussi mon coup, vu que le public cible l'a adoré sans prêter ne serait ce qu'une oreille à mes paroles ravageuses, mais en plus la chanson fut un triomphe international. Acclamé à l'Eurovision, traduites dans toutes les langue. Elle a considérablement augmenté la popularité de la fillette et la mienne qui plus est. J'ai pu ramasser beaucoup de biftons et me faire un carnet d'adresse encore plus conséquent grâce à cela et le tout, sans avoir eu trop à vendre mon âme, ou du moins, juste ce qu'il fallait pour en tirer le maximum de profits.
Je vous l'ai dit, chuis pas du genre à m'envoyer des fleurs, la chanson est un art mineur, destiné aux mineurs pour moi, mais l'art de la provocation est un exercice amusant et périlleux, capable de briser une carrière comme de l'embellir, mais arriver à faire d'une chanson limite satirique sur la personnalité même de France Gall, un tube quasi planétaire, ça relève d'un certain talent non négligeable.