La chanson est connue. On a tous en tête ce refrain rocailleux qui, chanté par Johnny Halliday à partir de 1969, année érotique, a fait de ce morceau un classique.
Elle est l’œuvre de Gilles Thibaut (paroles) et de Jean Renard (musique) qui n'ont pas mégoté pour composer ces quatre couplets de quatre vers en alexandrins, qui embrassent d'un regard langoureux et torride à la fois les moments de l'amour très charnel d'un homme pour une femme.
Le rythme du morceau est un cas d'école de ce que la poésie peut avoir d'évocateur. Du regard caressant au sexe enfiévré, on plonge dans un intime rare chez la chanson française, qui révèle vite l'animalité des corps, le désir des êtres, la saturation des sens.
Mais en 2012, le temps qui s'est longuement écoulé entre une génération et la suivante a charrié avec lui les vestiges d'une domination masculine qu'on a pensé, à cette époque, durablement ébranlée par la vague féministe et libertaire des années 1960. Des vestiges qui, au gré des obstacles sur le fleuve de l'Histoire, se sont transformés en embâcles contenant son énergie, modifiant son lit, érodant ses berges.
On n'est pas encore en 2017 mais, bien sûr, des femmes s'érigent déjà, encore et toujours surtout, contre certains symboles avec, dans le cas qui nous occupe, un charme subtil, un certain panache.
Camille.
C'est elle. Cette chanteuse que - je n'ai pas de mal à l'admettre - j'adore. Avec son style viscéral, ses mélodies organiques, cette énergie folle (devrais-je dire : cette folie énergique ?) qui l'animent, j'ai peine à trouver artiste plus entière et plus fascinante dans le paysage musical actuel.
Elle remet tout d'abord ce morceau en musique : une ligne de contrebasse, contrepoint discret mais rythmé à sa voix pleine si caractéristique mais qui, parfois presque murmurée, donne l'impression d'être prête à se briser ; un arpège léger, au violon, s'incruste dès le premier refrain avant que l'archer ne s'envole sur les cordes d'un autre au suivant. Un quatuor à cordes en somme, tout en rondeur et en amplitude, dont celles de chair et de sang de la chanteuse.
Mieux : sans presque toucher au texte originel, et sans le laisser paraître, elle insuffle à sa composition un propos sociétal d'une force assez galvanisante. Rompant l'équilibre mécanique des stéréotypes de genres, que la version de Johnny avait tendance à exacerber (cet homme qui parle de chienne, cette femme pudique qui peine à assumer ses désirs), elle dépoussière la masculinité. Son amant, auparavant cheval impétueux ou loup prédateur, se révèle fragile ; avant voyeur, il devient observé, scruté ; insécure plutôt que viril... C'est marrant comme tout est une question de point de vue - ou de voix.
Ce délicieux revirement, magnifique dans sa composition, fait sens dans la discographie de Camille, toujours riche en équivoque, en complexité, en mesure quant il s'agit de sexualité. Rien de surprenant, donc, à ce qu'elle chante dans "Le Banquet" la vengeance froide d'une amante éconduite par un Dom Juan (Ilo Veyou) mais qu'elle loue également le plaisir donné à son homme dans "Fontaine de Lait" (Ouï).
C'est ce que j'appelle joindre l'utile à l'agréable, et ça marche fichtrement bien.