La récupération d’un fait divers pour les nuls

Ca faisait longtemps que je n’avais pas attrapé la haine en entendant une chanson à la radio. La dernière fois, ça devait être le « Je veux » hypocrite et moralisateur de Zaz. Mais je dois avouer que depuis quelques semaines, j’ai envie de mettre des torgnoles à Monsieur Calogero, suite à son dernier single « Un jour au mauvais endroit ».

Vous avez certainement subi tout comme moi le matraquage quotidien de ce single sur toutes les radios de France, mais au cas où vous y auriez échappé, je rappelle que cette chanson est basée sur un fait divers sordide de 2012 : dans la banlieue grenobloise, sur fond de conflit inter-téci, pour une sombre histoire de mauvais regard (un « regard en croix » selon Calogero le poète), une douzaine de petites frappes lynche Sofiane et Kevin, à coups de couteau et de marteau, et les tue. A l’époque, tous les partis politiques de France ont essayé de récupérer cette histoire, rejetant les responsabilités soit sur le parti au pouvoir, soit sur celui qui était au pouvoir quelques mois plus tôt, soit sur les deux.

Calogero est né dans le quartier où a eu lieu le drame. Bien que ça ne lui confère aucune légitimité, il décide d’écrire une chanson sur ce fait divers. Une chanson très pauvre musicalement, avec une mélodie peu harmonieuse et un texte indigent (« écrit avec les pieds » selon une source proche de l’enquête). Aucun cliché ne nous est épargné : rythme agressif et mélodie angoissante digne d’un générique de journal télévisé, chanson écrite à la première personne avec un vocabulaire limité et une absence totale de figure de style et de poésie, paroles clairement destinées à faire pleurer dans les chaumières de la ménagère de moins de 50 ans (« la vie continue sans moi », « les cafés les cinémas je n’y retournerai pas », blablabla…). On a même droit au chœur d’enfants qui scandent « Plus jamais ! Plus jamais ! Plus jamais ça ! ».

Calogero se risque même à une analyse politique très très fine : la cause de ce drame, c’est bien évidemment la violence des banlieues chaudes, la « guerre dans nos quartiers », « l’ennui » mais aussi… et alors là, gros gros suspense, attention, Monsieur Calogero balance et n’a pas peur de se mouiller… il accuse donc fort logiquement… « la télé » !

Il aurait pu glisser une allusion à l’échec complet des différentes politiques concernant les « quartiers défavorisés » : depuis des décennies, les responsables politiques, de gauche comme de droite, au niveau local ou national, ont laissé pourrir la situation dans ces quartiers (si j’étais cynique, je dirais que ça se comprend, en terme de nombre d’électeurs, ces quartiers n’ont jamais été très rentables – en tout cas moins rentables que de les présenter comme des zones de non-droit et comme la source de tous les maux du pays… Mieux vaut faire peur aux braves gens, votez pour moi, cette racaille on va vous en débarasser, mais d’abord votez pour moi). Non, Calogero, fort courageux, ne veut pas froisser son public en critiquant un tant soit peu un parti politique ou un autre. Mieux vaut accuser la télévision (qui passera quand même son clip en boucle sur les chaines musicales, elle n’est pas ancunière). C’est bien, ça, une bonne technique éprouvée, taper sur la télé responsable de tout ce qui cloche, ça marche toujours. Il aurait bien voulu taper sur les jeux vidéos, mais il n’a pas trouvé de rime en –o. C’est dommage, on aurait eu des dizaines de réactions indignées chez les Youtubers, ça aurait fait le buzz.

Et donc voilà comment Calogero, en surfant sur un fait divers sordide, a sorti un tube, qui passe 10 fois par jour sur chaque radio et assure la promo de son nouvel album qui se vend comme des petits pains. Pas plus compliqué que ça. Un vrai succès commercial. Après la récupération politique, la récupération commerciale.
Je ne peux pas m’empêcher de penser aux familles et aux amis de Sofiane et Kevin. Je me demande ce qu’ils ressentent quand ils allument la radio…

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le 25 août 2014

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Bert Thran

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