Une Nuit en Enfer sur Terre

Y' a-t-il encore quelque chose à dire du 13 Novembre 2015, cette nuit où la France a connu ses attentats les plus meurtriers? Dans la foulée de cette nuit effroyable, tout ou presque semblait avoir été couvert par les chaines de télévision, répétant inlassablement les images d'une tragédie qui marquerait le pays à jamais. Les analystes dispensaient discours allant de pragmatiques à obscènes tandis que la classe politique partait tous azimuts entre rassemblement, hypocrisie et envolées bellicistes. La sphère journalistique auscultait ses causes et son déroulement, alors que le microcosme d'internet se parait du drapeau tricolore en faisant défiler maximes et aphorismes en tout genre. Mais c'est sûrement la devise "Fluctuat Nec Mergitur" qui fut la plus reprise au lendemain des attaques terroristes. Elle titre donc naturellement le documentaire signé par Guédéon et Jules Naudet.
C'est presque avec un sentiment de fatalité qu'on retrouve ces deux hommes. Ceux-là mêmes qui avaient suivi les pompiers de New York, un mardi matin dans les tours du World Trade Center, racontent ce vendredi soir qu'on a qualifié de "11-Septembre français". La différence est qu'en 2001, les frères Naudet devenaient malgré eux témoins des attentats et du combat qu'ont mené les soldats du feu alors qu'ils voulaient initialement les suivre dans leur travail quotidien. Dix-sept ans plus tard, ils donnent la parole aux hommes et femmes qui ont vécu l'attaque du 13 Novembre. Civils, policiers, pompiers et politiciens, chacun raconte cette nuit funeste.
Expurgé de toute considération partisane ou critique, le documentaire rend compte de l'évènement avec une économie et une humilité amplifiant sa justesse. Pas de voix-off ni de grandes musiques, jamais dans la recherche du choc ou du tire-larmes, 13 Novembre: Fluctuat Nec Mergitur fend le cœur avec de simples mots. De simples mots prononcés avec la plus grande sincérité. Il n'en faut pas plus pour effleurer les images et sentiments derrière leur signification. Il n'y aura pas de questions. Et il n'y aura pas de résolutions. L'identification est immédiate mais l'évènement restera insaisissable. Les frères Naudet parviennent à rendre perceptible cette sensation d'immersion, tout en cristallisant cet effet de distance que créent de tels moments. Les trois heures qui passent sont souvent glaçantes, souvent éprouvantes, toujours bouleversantes. Il est certain que beaucoup ne pourraient même pas imaginer ce que ces âmes ont pu traverser cette nuit-là, mais comment ne pas ressentir une compassion bien réelle pour elles? À l'image de cette devise qui sied à la ville de Paris, Fluctuat Nec Mergitur, elles ont vacillé par une nuit qui les a ébranlé. Mais elles n'ont pas sombré. Elles restent debout. Le plus bel hommage à leur rendre est de les écouter et d'essayer d'en faire autant.