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le 2 avr. 2017
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Le carton (compréhensible !) engendré par cette série exige une discussion sérieuse, non-seulement parce qu'elle appelle à ouvrir les yeux sur un phénomène tragique et bien trop récurrent mais aussi parce que les partis pris esthétiques, et donc éthiques, des showrunners nécessitent une réflexion purement pragmatique.
13 reasons why, c'est – volonté clairement établie lors des divers interviews des auteurs et acteurs – l'envers du décor du si conventionnel teen-drama américain tel qu'on nous en fait bouffer depuis une quinzaine d'années : comme si l'on avait cherché à lire entre les lignes soigneusement vernies des canons afin d'y déchiffrer un malaise silencieux. Aussi, il n'est pas si surprenant qu'une série à vocation « réaliste » (encore une fois, pour reprendre les termes employés) pioche dans certains des pires clichés du genre pour dresser un portrait qui se voudrait authentique de l'adolescence. C'est que les athlètes superstars du lycée, les premiers de la classe ou les freaks ont tous des secrets au-delà des apparences, et que s'y décèle clairement l'ambition de se jouer des codes établis afin de mieux les prendre à revers.
Je n'ai jamais (?) été aussi bouleversée devant un teen-drama, voire devant une série tout court, une fois les épisodes enchaînés. Et c'est bien là que se situe sa grande force : toucher, au-delà des écueils inévitables, quiconque garde des mauvais souvenirs de son adolescence. Mais c'est là que le bat blesse.
Parler du harcèlement scolaire est une nécessité, et le défi est largement relevé ici (voir les deux derniers épisodes, absolument insoutenables) tant il devient difficile, à mesure que le récit avance, d'observer, impuissant, la vie d'Hannah se déliter sous nos yeux dans une descente aux enfers extrêmement poignante. Aussi, l'idée d'une narration puzzle éclatée, possible grâce à un dispositif narratif intelligemment exploité, ouvre une myriade de possibilités empathiques du spectateur aux personnages.
Mais c'est une méthode à double-tranchant, et la série peine à mon sens à faire la différence entre le didactisme pur et le divertissement – critique émise après prise de recul, tant j'ai été comme beaucoup emportée par l'histoire de manière quasi obsessionnelle – quand elle en vient à créer du suspens autour de sujets aussi délicats que le viol ou le suicide : aussi, je pense qu'on peut sincèrement questionner la démarche d'un point de vue moral.
Encore une fois, ce « suspens » (qui rappelle un peu celui employé par Spielberg pour la scène de douche de La Liste de Schindler) permet effectivement de décupler l'ampleur émotionnelle de la découverte, mais sa légitimité à des limites. Et c'est à nouveau questionner le rôle de la fiction comme événement cathartique : à quel moment une fiction dite « réaliste » peut-elle non-seulement mettre en scène l'horreur (en l'occurrence le suicide) mais aussi s'en servir comme matière ludique tout en se prétendant « éducative » ?
Le concept d'une cassette, un épisode : une excuse pour donner de l'attrait à une histoire qui aurait moins suscité l'engouement si elle avait été raconté chronologiquement ou une manière honnête de donner la parole à une « suicidée », victime des pires cruautés adolescentes ? C'est une pure fiction, mais une fiction coincée entre un désir d'authenticité pédagogique (après tout, l'idée semble être d'alerter sur les syndromes dépressifs ou suicidaires et de culpabiliser les bullies) et celui d'entertainment.
La scène du suicide – une des scènes les plus violentes que j'ai pue voir à ce jour – était-elle nécessaire ? Brian Yorkey se défend des critiques en expliquant qu'il souhaitait montrer le suicide comme un acte qui n'a jamais rien de beau (message a priori destiné aux potentiels suicidaires, donc?). Sans remettre en question l'honnêteté de la démarche ni prôner la censure (!), que peut-on et ne peut-on pas mettre en scène dans une œuvre cinématographique, d'autant plus quand elle s'adresse d'abord à un jeune public qui n'a pas les ressources nécessaires pour réceptionner un tel choc ? Peut-on réellement recréer, traduire à l'image l'état d'esprit d'un individu sur le point de se suicider, aussi épurée et bien jouée (Katherine Langford est une révélation à ce niveau) que soit la séquence ? Et quand est-il des spectateurs effectivement suicidaires ? Sans compter que l'histoire qui a mené à ce suicide était elle-même fortement romancée, de telle sorte qu'elle réinscrit des faits plausibles et réalistes dans une continuité scénarisée construite que la scène du suicide ne fait que clore à la manière d'un dénouement logique et surtout attendu depuis le début. Hannah Baker est un personnage qui pourrait être réel, douloureusement attachant, mais elle devient, à la fin de la série, une figure tragique à l'aura mythique, une Laura Palmer de la génération Y.
La saison 2 ne ferait, je pense, qu'aller dans ce sens : le suicide n'est pas l'étape finale, puisque Hannah continue à exister après sa disparition, même si l'état psychologique des parents, d'une tristesse écrasante, prouve le contraire. En vérité, elle n'est plus rien.
Il y a définitivement toute une réflexion à mener sur la fiction et la fiction dans la fiction, qui reste aussi un élément pillier de 13 reasons why, autour des fonctions du discours et de ses limites, des rapports entre énonciateur et récepteur, qui vaut autant pour le récit diégétique que le récit extra-diégétique.
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Créée
le 13 mai 2017
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