Avant d'entamer ce retour à chaud, forcément plus positif qu'il ne devrait l'être (parce que quand on aime, on ne compte pas ; à plus forte raison par les temps qui courent, dans la mesure où ils font créativement du sur-place), j'aimerais que nous nous tenions tous par la main et que nous prenions une minute pour considérer ce constat providentiel : 1899 N'est PAS une adaptation. Non, ce n'est pas un grand classique de la littérature fantastico-science-fictionnelle des années 70. Non, ce n'est pas un comics indé en vogue. Non, ce n'est pas une fan-fiction young adult publiée sous le manteau. Ce n'est pas un manga, pas un jeu vidéo, une attraction Disney, un remake, un reboot, un remaster, un bégaiement. Aucune matière première que des tâcherons sans âmes, plantons débilitants dénués de talent, auront massacré de la pointe de leurs plumes ineptes, réduit à un reflet inoffensif et populiste, d'une condescendance intellectuelle crasse, pour plaire à un public au temps d'attention estimé à dix minutes maxi, comme le sont les trois quarts des productions Netflixzon+.
1899 est une création originale, et rien que pour l'effort, en 2022, je donne un 8/10 par défaut tellement ça devrait être la norme plutôt que l'exception. Car au royaume des copistes, des plagieurs, des désadaptateurs à la chaîne, il fallait encore oser avancer à visage découvert sans se planquer derrière le nom d'un autre illustre qu'on aura piétiné, comme dans les pantalons de son papa, et plus encore pour imposer un récit complexe (relativement), au rythme feutré (sans être léthargique), qui a l'outrecuidance d'essayer de raconter quelque chose d'un peu personnel, d'un peu différent, d'un peu ambitieux, d'un peu moins formaté que la moyenne.
Et si le fin mot de l'histoire relève inévitablement du déjà-vu, il n'en demeure pas moins que le récit est finement ciselé, à la fois parfaitement cryptique (avec des cliffhangers de fin d'épisodes en tous points remarquables) et à la fois, un peu trop généreux quant aux indices qu'il donne, de sorte que les vieux briscards du genre sauront (très) vite deviner de quoi il retourne. Ce qui n'empêche pas d'apprécier en plein les tours et les détours (de passe-passe) de cette intrigue jubilatoire dans la roublardise de sa construction puzzléiforme, et sa façon de jouer au chat et à la souris tant avec son public qu'avec ses personnages.
Pour peu qu'on n'ait pas un autel chez soi dédié au Marvel Cinematic Universe, on déplorera sans doute qu'en huit petits épisodes d'une heure, les protagonistes n'aient pas le temps de s'installer plus qu'en surface (no pun intended), ni de laisser leurs conflits intérieurs respirer pour de bon. Tout est un poil trop condensé. Tout avance un chouïa trop vite (et plus encore quand on binge-watche, car c'est péché), Mais tout reste néanmoins habile et bien équilibré, de sorte qu'en fin de voyage, peu de questions subsistent et elles sont accessoires. Une suite pourrait venir. Ou pas. C'est égal. On en reprendrait volontiers pour une saison entière, ou deux, ou trois, seulement le dénouement satisfait en l'état.
Alors bien sûr, dans l'écriture, on retrouve Dark, la référence, pour le meilleur et pour le pire, mais quoi qu'en disent certains, les auteurs ont progressé depuis, ils ont pris confiance dans leur écriture, ils ont appris à ne pas subir leurs concepts. Dark était une série exceptionnelle, à de nombreux égards, mais qui pêchait par deux aspects rédhibitoires : en premier lieu, les personnages ne participaient jamais à l'intrigue principale (ou si peu), ils gravitaient autour en attendant qu'un tiers vienne leur déballer tout de go une tranche de pourquoi-du-comment, avant de recommencer à s'éparpiller dans la nature jusqu'à la révélation providentielle suivante, se perdant dans des sous-intrigues familiales sans grand intérêt, dignes (ou pas loin) de la saga TF1 de l'été avec Francis Huster - les évènements cruciaux et les découvertes capitales avaient tous lieu hors champ. En second lieu, les personnages ne communiquaient pas, ils passaient leur temps à se cacher mutuellement des infos essentielles sans que rien ne le justifie, délayant plus encore la progression d'une trame pourtant fascinante, qui en arrivait presque à faire de la figuration.
Il y a un peu de tout ça, encore, dans 1899, mais dans des proportions nettement plus supportables, puisque plus rares, discrètes, pour ne pas dire anecdotiques, à tel point que comme suggéré plus haut, il arrive même que l'intrigue progresse trop vite pour son propre bien, un comble. On aimerait parfois rester dans le flou plus longtemps, juste pour le plaisir de se laisser retourner le cerveau comme une crêpe.
Pour le reste, on connaît la chanson, au sens propre : très bel usage de classiques rock en fins d'épisodes (choisis avec un goût toujours aussi exquis), photographie léchée, mise en scène élégante, thème musical principal évoquant malgré lui (mais très judicieusement) le film Un Cri dans l'océan, ambiance glaciale (à l'islandaise, pour un peu, mais non exempte d'humanité). On ne s'ennuie ni ne trépigne jamais. Le parti-pris d'un casting cosmopolite en langue d'origine surprend et n'apporte pas grand chose, mais ajoute de son postulat étrange à l'étrangeté de l'entreprise alors ma foi, pourquoi pas ? On n'est plus à une excentricité près.
De sorte que la série nous livre une croisière atypique, aux frontières du réel et des faux-semblants, pleine de visions tordues et de jolies images d'un autre monde. C'est plus que l'on était en droit d'en espérer d'une production Netflix, ce qui conduit celle-ci tout droit au sommet du podium, aux côtés de Dirk Gently et de Haunting of House Hill.
Ça valait bien le coup de se faire mener en bateau.