Un soir en plein hiver 2021, une crise sanitaire au cœur de nos vies, si douloureusement brouillées par les variations d'un virus cafardeux. Les dégâts seront nombreux tout autant dans l'équilibre de la structure sociale du pays que dans la vie économique et culturelle. Les préoccupations semblent majeures, notamment pour les étudiants/étudiantes dont la précarité grandissante ne cesse de s'arrêter face au confinement mental dans lequel nous nous évertuons à ne pas tomber jusqu'à la prise de conscience au réveil, rappelant que la journée d'aujourd'hui sera encore la même qu'hier. Les soirs de la saison hivernale ont toujours été d'une rare complexité, où les individus y partagent des émotions sombres et toxiques en cette période où la luminosité fléchit au profit de la déprime quotidienne. La France de 2021 n'échappe(ra) pas à cette boucle mystérieuse et nocive.
La soirée a toujours été un enjeu phare pour les discussions politiques, où refaire le monde semble être un rite universel en temps de paix. Selon l'intensité des discussions et de la quantité d'alcool absorbée, des débats s'affranchissent des codes habituels, vouant au bon respect de la teneur démocratique d'une conversation entre individus égaux.
Malheureusement, la crise sanitaire a pu mettre fin à ces échappatoires, laissant dans l'embarras des millions de personnes, entre solitude et aigreur. Le malheur du temps persiste, une crise qui n'en finit pas et des libertés privées ; à bon entendeur, cette privation demeure relative selon les groupes sociaux. Elle est également genrée, permettant notamment aux hommes d'affaires et aux autres cadres du privé de se priver des dispositions gouvernementales, contrairement à la femme de ménage, dont les conditions de travail se sont dégradées depuis le début de la pandémie.
Au temps du consumérisme télévisuel, les heures passées devant l'être monolithique tout électronique se comptent en centaines, rayant nos iris, détruisant nos pupilles. Le soir tombe, et la lumière ressurgit - ce phare qui devient une habitude fatigante et démoralisatrice. Le soir, heure où le mal ronge, où la frustration désespère, où la mélancolie envahit chaque être jusque-là envahi d'une lumière intérieure pourtant réelle.
Cette contextualisation semble nécessaire pour retranscrire une situation qui, sans être forcément un ressenti personnel, plonge de nombreuses âmes dans une peine inarrêtable. En temps de crise, la peine peut vite devenir un outil idoine pour des mouvements toxiques. Faire un bref rappel historique d'une situation figée ne semble pas être une bonne idée, d'autant qu'elle demeurerait contre-productive et résolument fausse. Toutefois, la société évolue, et les idées se diffusent progressivement dans des sphères jusque-là peu propices à l'écoute de discours extrémistes et manifestement fascistes.
Me concernant, j'éprouve un rejet profond des plateaux de la nouvelle caste raciste, xénophobe et proto-fasciste de l'entreprise de Vincent Bolloré. Malheureusement, un point de non-retour a été franchi en cette douloureuse soirée de janvier 2021.
Cyril Hanouna, véritable phénomène médiatique des années 2010, a ouvert la boîte de Pandore en conviant un groupe proto-fasciste et anti-républicain. En invitant Thaïs d'Escufon, malheureuse femme endoctrinée à une cause mortifère, Cyril Hanouna a mis en lumière le véritable but de son émission. Choisissant une formule volontairement grossière et outrancière, Hanouna présente les caractéristiques de l'association fasciste de cette jeune femme, et impose directement son point de vue.
Jusque-là, les émissions politiques étaient résolument médiocres. Toutefois, les speakers et speakerines réalisaient peu ou prou leur travail sans remettre en cause ni dévaloriser leur invité/invitée. Dans cette fameuse émission, Hanouna intervient immédiatement pour attaquer l'invitée, et ce sciemment pour chauffer le plateau. Effet garanti, car figure à côté de la fasciste un autre personnage, dont les perspectives électorales se mesurent à la qualité de son implantation capillaire, Jean Hossam Messiha.
Néanmoins, le mal intervient dans la mesure où Hanouna provoque sans vergogne la jeune femme pour décontenancer et "exciter" son partenaire politique qui, faut-il le reconnaître, est un personnage profondément toxique. S'ensuit une volonté de "débat" : faut-il dissoudre ladite association ? Mais quelle question ! En offrant une tribune à cette association d'ultra-droite nationaliste, fasciste et suprémaciste, Hanouna l'incorpore et l'adapte au champ médiatique, offrant une tribune exceptionnelle ; ce dont, je suppose, les membres de l'association imaginaient nullement la possibilité les temps derniers.
La mise à mort du débat, où la croyance éternelle à la race blanche pure, à la permission de proférer des propos racistes et xénophobes, de tenir des propos grossiers. Ledit débat n'en était malheureusement pas ; aucune profondeur, aucune issue, aucune porte de sortie. Cette émission de Hanouna a été l'une des expériences télévisuelles les plus effrayantes de ces dernières années ; nous nous moquions de ces Américains, tentant de marquer le coup en envahissant le Capitole. Aujourd'hui, la discussion politique s'effondre à l'instar des discussions américaines en leur temps, où Trump n'était qu'une vaste illusion risible et, a priori, inoffensive.
Non loin de croire en une victoire d'un parti fasciste lors des prochaines élections présidentielles, je persiste à croire que nous avons franchi un cap dangereux et malheureux pour notre société. La crise sanitaire est venue renforcer la crise identitaire de certains résidus de la pensée ; tandis que la crise sociale vient récupérer l'âme des travailleurs/travailleuses et des étudiants/étudiantes d'ici et d'ailleurs, une crise spirituelle se met en place tout au long de l'Occident. Cyril Hanouna n'est peut-être pas la clé de voûte de cette crise, mais il participe à légitimer et à accorder une place médiatique à des mouvements favorables à la destruction de la République - qui, à mes yeux, se doit de réaliser un renouvellement profond afin de mieux lutter contre les fascismes d'aujourd'hui et de demain.
La mise à mort du débat, où le triomphe de l’irrationalité et de la paresse intellectuelle. Celle où la question prioritaire se réfère à l'attribution de la pureté de la race blanche, de la défense des valeurs chrétiennes et du temps béni des colonies. Hanouna n'est qu'un piètre Taddeï sans culture et sans compétence ; le revêtement de sa tenue paramilitaire, de gestes déplacés aux paroles insultantes, prouve l'existence d'un système autoritaire et proto-fasciste. La colonisation de nos esprits par les tropismes de fascistes en puissance ne pouvait-il pas seulement s'arrêter au champ politique ?
La mise à mort du débat, où le feu incandescent d'une nouvelle pratique langagière, terriblement méchante et rabaissante. Hanouna méprise, Messiha insulte et Naulleau aboie. Les nouveaux chiens de l'ordre néo-libéral partagent le plateau, et s'adressent des compliments sans embarras. Que le Blanc qui s'imagine, face au téléviseur, fier des articulations de cette Thaïs ; il sera de la faute de Hanouna, et de ses troubles-fêtes, d'avoir intégré la possibilité d'adapter ce groupuscule néo-fasciste dans la vie publique. De notre responsabilité ? Celle d'avoir fermé les yeux, et de se soumettre devant la terrible désillusion des idées rétrogrades et xénophobes. Notre peine ? Attendre, et espérer. Et éteindre la télévision.