Puisqu'elle tire une partie de sa popularité sur son bagage technique, abordons la série du moment par ce prisme. Ça fait maintenant deux bonnes décennies que la technique du plan-séquence a le vent en poupe, par la grâce et l'inventivité de metteurs en scène appliqués tels Alfonso Cuarón, Park Chan-Wook ou Cary Fukunaga. Depuis, combien de productions ciné/télé nous sortent leur plan-séquence et combien en a t-on retenu ? Pour ma part, pas beaucoup. Une leçon s'impose rapidement : l'étalage on passe outre s'il n'a aucune valeur ajoutée dans la diégèse. Un aspect sur lequel la série Adolescence aurait un avantage certain puisque ses quatre épisodes sont précisément conçus en un plan unique. Mais ce n'est pas si évident.
Les chapitres sont pensés pour nous faire ressentir ce temps réel alors que la situation évolue pour cette famille et l'inspecteur en charge d'une affaire dans lequel le plus jeune membre serait impliqué. Un parti pris fort, mais qui se retourne parfois contre la série car des temps morts il y en a. Est-ce que le récit aurait été moins pertinent avec une mise en scène plus "classique" ? La question mérite d'être posée, ne serait-ce que pour les épisodes deux et quatre où l'intrigue se traine de temps à autre pour une ou plusieurs thématiques qu'on intègre en quelques minutes. Soyons honnêtes, ça n'altère pas le propos concernant la pédagogie dans le milieu de l'éducation et le fossé générationnel sur les nouveaux mode de communication. Mais si l'ennui menace malgré tout à plusieurs moments, c'est peut-être que l'approche n'était pas la plus adéquate.
C'est en revanche bien plus pertinent et réussi dans l'introduction et la partie 3 où l'on voit le sol se dérober peu à peu sous les pieds de Jamie (l'adolescent arrêté) et l'environnement changer de tonalité au gré de ses humeurs. Il faut à ce titre saluer la prestation admirable d'Owen Cooper qui parvient à faire passer beaucoup sans forcément que cela passe par la parole. Stephen Graham donne également une puissante incarnation dans le rôle du père, tiraillé entre ses devoirs parentaux et un sentiment de culpabilité sous-jacent. Ironiquement, je pense que l'épisode 3 est celui où l'usage du plan-séquence est justifiée alors que c'est le segment le moins "spectaculaire" si l'on peut dire. L'idée est d'assister à la mise à nu d'une personnalité complexe, bouffée de contradictions et sujettes à de violentes poussées d'émotions. Une table, deux personnages ; c'est fou ce qu'il en faut peu pour nous embarquer dans un voyage où l'empathie le disputera à la crainte.
Que la série fasse parler d'elle est une très bonne chose. Son succès m'apparait comme le symptôme d'angoisses bien réelles liées à un champs de défis, anciens comme nouveaux, qui se profilent devant cette période charnière qu'on appelle adolescence. Mais également un petit rappel utile des conséquences d'un évènement sur la vie d'une multitude sans qu'ils aient eu de rôle direct ou indirect dedans. On a beau le savoir, à moins de le vivre on est encore loin du compte. Adolescence porte tout cela dans ces quatre épisodes, et c'est bien pour une mini-série. Je reste cependant persuadé que l'ensemble aurait pu tenir en 2h30, délesté en partie de cet attirail technique et être aussi fort.