Les zombies et la Corée du Sud, c'est une histoire d'amour tardive, en fait en retard de dix ans ; c'est que la vague tendance des morts-vivants tout droit venue d'Occident a mis du temps à dérouler jusqu'à la pointe asiatique, — elle avance aussi vite que la femme enceinte On the Way to the Gynecologist, — mais son ressac n'en est pas moins impressionnant. Alors, bien sûr, il n'y a rien de bien original dans ce drama : des gens vivants et des gens presque morts se battent pour ne pas devenir des gens tout à fait morts. Toutefois, bien que les personnages principaux soient des adolescents, ils ont tout de même une lucidité qu'on a rarement trouvée dans ce genre d'histoire : dès le premier épisode ils mettent un mot (zombies, donc) sur l'étrangeté de ce qui se produit, font du reste référence au film Dernier train pour Busan pour expliquer la situation. Ça, c'est plutôt sympa ; mis à part l'enseignante qui reste obtuse, il n'y a pas de questionnement longuet sur la nature des assaillants tout déformés.
Parce que je suis du genre à apprécier le divertissement pour ce qu'il est, je ne m'en vais pas dévisser un à un les écrous ayant servi à créer ce drama pour en critiquer la qualité, je veux simplement en éclairer la lecture grâce aux clés que j'ai collectées lors du visionnage de centaines d'autres œuvres coréennes. Il m'est donc impossible de ne pas prendre plaisir à regarder All of Us Are Dead, déjà parce qu'on dirait un drama de la collection School. Tous les lycéens types (ce n'est pas un terme péjoratif) se retrouvent là : la fille normale, la meilleure amie de la fille normale, l'ami d'enfance de la fille normale coincé dans cette case amitié, le sportif séduisant, la peste en rose, l'élève sérieuse, le lycéen incarné par un acteur de trente-quatre ans... Surtout, il y a les élèves plus torturés, ceux qui font verser mille larmes dans les autres dramas, ceux qui se font battre, qui sont humiliés quotidiennement, qui se jettent des toits. Et ce sont eux qui obtiennent ici la meilleure chance de leur existence fictive, celle de sortir de ce stéréotype pour devenir un autre personnage, quelque chose d'autre. D'ailleurs, c'est le sujet de leur cours d'anglais dans l'épisode 1 : « free from prejudice », se détacher des préjugés (attribués aux autres ou à soi-même).
Et tous ces jeunes sont sous la coupe d'adultes qui oscillent entre un attachement excessif et un désintérêt rampant, au point de vouloir en réchapper. Comme souvent dans les dramas (je pense notamment à Solomon's Perjury), ces adolescents ne peuvent faire confiance à ceux qui ont des responsabilités — et même, ils se retrouvent en mauvaise posture à plusieurs reprises à cause d'eux. Ainsi, ils prennent les choses et les cadavres en main, s'arment d'objets étranges et de courage, courent vers les issues de sortie et au devant de dangers nouveaux. Et alors point la question habituelle du genre horrifique : Qui va survivre ?
Le truc, avec les Coréens, c'est que c'est une question à laquelle il est plutôt facile de répondre, parce qu'ils ont plus de scrupules que d'autres scénaristes étrangers ; ils ont du mal à effacer de l'écran un personnage qu'ils ont pensé et écrit de façon intéressante, à cause de je ne sais quelle tendresse. Pour passer outre ce problème touchant, ils peuplent leurs séries d'êtres sans substance, qu'il est facile de dégager. Ainsi, ici, la mort fait activement son travail mais n'émeut pas, au moins pas avant l'épisode 8, parce qu'elle touche des personnages creux. Alors, dans la première moitié, il faut chercher le suspense ailleurs, plutôt dans l'évolution de ceux qui résistent à la mort. Le fait qu'ils sont, pour l'essentiel, pris au piège dans un bâtiment imposant, permet une grande étude sociologique, un peu comme le proposaient le drama coréen White Christmas et le japonais Mr. Hiiragi's Homeroom. Et c'est ce qui me plaît le plus, observer les gens, les voir grandir, surtout les voir devenir meilleurs, peu importe s'ils sont fictifs (puisque les personnages ont été inventés par des individus réels, alors ils portent la marque du réel).
La recherche du Bien ou la défaite dans le Mal des personnages passe, à l'écran, par des signes trop remarquables pour être ignorés. Dès le début du drama, la croix chrétienne illuminée de rouge et le sauvastika flottant dans la nuit annoncent un temps de destruction et de reconstruction. La Bible jetée à terre quelques minutes plus tard signale elle aussi l'état de celui qui l'utilise à mauvais escient — car il a semblé hésiter un instant, on sentait l'exorcisme venir mais il n'a pas eu lieu. Et puis viennent les chants grégoriens, brefs, étouffés derrière des paroles inutiles. Ces avertissements résonnent plus tard dans l'histoire, quand paraissent des scènes quasi fanatiques à l'église, qu'on croirait empruntées à Save Me, et qu'un talisman fabriqué dans Dark Hole est écrasé par une main d'homme. Alors tombe le couperet : « Il n'y a pas d'espoir ». Il faudrait toutefois préciser : faire le Bien ne garantit pas la vie, mais faire le Mal garantit la mort. Or, la réflexion ne va pas plus loin. Après tout, ce n'est pas Na Hong-Jin qui gère tout ça.
Celui qui gère, c'est celui qui a dirigé l'un des dramas les plus intensément romantiques des années 2010, The King 2 Hearts. Alors forcément, on a droit à des scènes gentillettes avec en arrière-plan des morceaux de cadavres. Et quand deux des jeunes s'attachent l'un à l'autre avec un morceau de tissu rouge, tout de suite on sait que le destin est invoqué. Ce décalage entre l'horreur et la romance légère est du reste pointé du doigt par l'un des personnages ; il n'y a pas de doute à avoir, le créateur assume son mélange. Un mélange de toutes les œuvres que j'ai pu mentionner dans cette critique si peu critique.