Où vont tous les instants disparus, décolorés, fades, irrévocablement enfouis qu'un hier passager nous a volé? Car le passé étreint; il broie, même. Il exerce sur le présent une pression continue que chaque individu ressent dans sa chair, dans l'écoulement de ses veines sous l'impulsion du coeur; Des légions de fantômes, de spectres et de goules tourmentent la plupart des être vivants. Ils sont dix, cent, mille à l'assaut d'une seule âme! Qui sont ces ectoplasmes blafards qui jalonnent toutes ces vies? Quelles forces surhumaines possèdent ces ombres invisibles qui pèsent de tout leur poids sur la condition humaine? Ces chimères, ce sont les réminiscences du passé, ces apparitions, ce sont les bribes des choses irrémédiablement enfouies qui resurgissent à la surface par d'insondables moyens. Ce surgissement, cet envahissement du passé dans le présent est le thème central de Ano Hana.
C'est pourtant une histoire fort banale : Cette histoire, c'est celle de Jintan, lycéen ordinaire dans une province japonaise. Jintan n'est pas un héros; Ce n'est pas un homme puissant, un roi, un prince ou un prophète. Ni un stratège. C'est un de ces adolescents maigres et blafards qui fuient la brutalité du monde contemporain dans la solitude et l'échec, un de ces jeunes hommes qui sont le produit de l'école et du supermarché. Jintan est pétri des angoisses modernes, d'un monde qui va trop vite, qui ne laisse pas le temps au temps, qui garde les blessures enfouis au fond des cœur, irrémédiablement . Tout en lui respire le drame, de ces drames qui sont plein de bruits et qui font des silences infinis . Il est un de ces tragiques du quotidien que l'on croise à chaque coin de rue, dont on se moque avec morgue, et qui font les titres des faits divers lorsque leur existence se fait trop lourde et qu'ils y mettent fin. On rit trop souvent du suicide et pas assez de soi-même. La mort d'un autre que soit est toujours pleine de rire. Ano Hana, c'est aussi l'histoire d'une rédemption, d'un temps qui revient sur lui-même pour se libérer de sa propre emprise, de toutes ces pesanteurs qui encombraient. Un temps réapproprié, libéré, enfin apaisé. Ano Hana est une fable expiatoire. Un conte du bonheur.
La trame de l'intrigue, fort simple, mêle un naturalisme déconcertant à un surnaturalisme assumé qui jongle entre les relations qu'entretiennent les différents protagonistes. On y voit jintan plongé dans sa cruelle solitude, a peine troublé par le fantôme d'une amie d'enfance, la pâle et gracile Menma. On y suit le parcours de ses quatre amis aussi. Quatre amis qui sont des étranger désormais, des rivaux même, des ennemis plein de haine que le temps a séparé et qu'il relie pourtant d'un fil étroit. Si le récit est centré autour de Jintan et de Memna, aucun personnage n'est figurant, tous sont acteurs et possèdent une identité singulière. La dynamique de l'intrigue ne fait pas d'impasse mais procède au contraire de l'interaction entre chaque personnage. De cette ,confrontation des âmes, des pans entiers du passé resurgissent au milieu du vacarme de la souffrance expulsée, renaissent des cendres de l'amitié brisée. Les épisodes s’enchaînent, les uns après les autres comme des lambeaux de mémoires arrachés aux limbes, comme des faisceaux arrachés aux ans qui s'entrelacent pour expier. L'amour et l'amitié s'entremêlent dans cette histoire de la banalité de la souffrance humaine, guidés par le frêle fantôme de Menma. Tous dansent. Ils dansent sur le fragile intervalle du temps retrouvé, suspendus sur l'étroit fil de la mémoire réconciliée comme à un petit miracle. Comme à un prodige que vient sublimer la simplicité de la trame narrative et de l'animation parfaitement réaliste, délicatement soutenus par une bande son aux accords remplis d'une déchirante douceur. Mais l'expiation à un coût. Des décombres du temps resurgissent des ombres à figures humaines: Jalousie, amours inavoués, désirs frustrés, amitié perdue, honte, et toute la cohorte des non-dits qui germent dans les drames enrichissent la trame du récit et la transforme en véritable parcourt initiatique. La confrontation des différents protagonistes les amènent à réinvestir leur propre histoire et à la transcender dans un ultime et frénétique épisode. Ano Hana est une course contre le temps, un véritable marathon après et pour le temps, pour la vie. Drame du passé et apologie du renouveau, c'est là toute l'authenticité de l'oeuvre, sa force dramatique et sa furieuse modernité.