Iphigénie à Aulis
8.1
Iphigénie à Aulis

livre de Euripide (-405)

Elle est là, la flotte argienne, sur les rives d'Aulis. Mille vaisseaux, mille nefs frémissent sur ses bords. La grèce toute entière assemblée y repose tandis qu'Agamemnon, roi parmi les rois, étend vers l'horizon ses regards de monarque. Mais pas un vent ne souffle, pas une voile ne s'agite.
Ils sont cent, ils sont mille, accourus de toute la Grèce à l'appel des Atrides offensés. Ils viennent de toute l'Attique, d'Argolide, de Laconie, de Thessalie ou d'Eubée. Ils ont décroché la lance du foyer, et revêtu l'armure pour les sanglants combats; ils ont l’œil rempli de la fierté des Grecs. Ce sont les myrmidons d'Achille, les cent nefs des Atrides; c'est Ulysse, Ajax et Ménélas; ce sont les fils d'Atrée, de Pélée, de Laërte. Tous sont venus prêter allégeance à Agamemnon. Tous désirent venger l'honneur de la patrie offensée.
Mais pas un vent ne souffle, pas une voile ne s'agite.
L'armée arrêtée tempête. Les grecs en ont assez du repos : ils veulent le combat, la bataille, le carnage! Ils veulent embarquer vers la perfide Ilion, fouler le sable troyen, rougir le sang des armes! Assez du foyer paisible! Assez de la tendre et fidèle épouse! Assez des années sans exploits! Assez d'une vie sans gloire! Tous espèrent l'immortalité et la gloire.
Mais pas un vent ne souffle, pas une voile ne s'agite.
C'est que les dieux cruels exigent un sacrifice. Si Ilion doit tomber, Iphigénie doit mourir. La pièce d'Euripide conte les douloureux moments de cette immolation. L'intrigue, fort simple, se déroule autour du personnage d'Agamemnon. Elu par tous les grecs afin de mener la flotte argienne, il est le plus puissant d'entre eux, et le plus malheureux. Par l'intermédiaire de Calchas le devin, les dieux le lui ont signifié : Les vents ne se lèveront pas; Artémis le veut, sa fille doit mourir. Moments atroces! Heures sans fin! Si puissant qu'il soit, Agamemnon ne peut s'y résoudre. Il est roi, oui, mais il est aussi père. Son humanité doit-elle s'écraser devant l'honneur outragé ? Doit-il sacrifier son bonheur individuel aux besoins de sa patrie? Le problème est éminemment politique. Il est celui du devoir, non seulement moral, mais aussi du devoir à rendre à la cité. C'est aussi la question de la liberté.
Agamemnon est roi et la royauté l'enchaîne à son devoir. Sa personne doit s'effacer devant les grecs et les dieux. Agamemnon est illustre mais privé de sa liberté. Il ne peut qu'à grand peine tenter de résister aux forces qui l'oppressent : D'ailleurs qui peut lutter contre les dieux ? S'il y a tragique c'est parce que les hommes sont les jouets des volontés divines. Clymnestre pleine de rage, Achille sans reproche, l'industrieux et rusé Ulysse ou l'innocente Iphigénie, tous subissent l'inexorable force des arrêts divins.
Quant à Agamemnon, il n'est Agamemnon que par le pouvoir que lui confère les Grecs. Il est inféodé à leurs voix, suspendu à leur volonté; il se confond avec eux. Sa patrie l'emprisonne, son honneur l'enchaîne, sa royauté le contraint. Agamemnon incarne le paradoxe du monarque : Seul possesseur du pouvoir le pouvoir le surplombe. Plus encore, il le domine. Ce pouvoir sans limite borne son existence.
Mais il y a davantage. Le sacrifice d'Iphigénie n'est pas la simple figure de l'innocente immolée: il symbolise le prix à payer pour obtenir la gloire. Car il ne s'agit pas seulement de laver l'honneur outragé d'un frère : Il s'agit d'abattre l'illustre Ilion, d'acquérir une gloire immortelle, une renommée sans limite. Le sacrifice est le corollaire de la victoire; Mais à vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Iphigénie, c'est le renoncement aux douceurs du foyer, aux joies de l'innocence, aux lois de la patrie. C'est le prix de la guerre inhumaine, de la bataille, du carnage. C'est le renoncement à son essence d'homme pour embrasser celle du héros. Mais cette essence est presque divine, elle repousse les limites humaines. Pour y prétendre il faut accepter d'être davantage que soi-même; il faut accepter de se perdre pour s'élever. La vie du héros est brève mais embrasée. Elle brûle. Elle flambe. Elle incendie même. Semblable à la comète elle traverse l'espace de la vie comme un bolide enflammé avec une énergie fantastique. Mais cette vie héroïque a un prix qui la surplombe toute entière : Le poids terrible du triomphe.

maenwe
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le 13 déc. 2016

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