Le jeu des dupes

"Iphigénie à Aulis" est une des dernière pièces d'Euripide. Elle relate un évènement des "chants cypriens" (que l'on ne connait malheureusement que par des allusions) qui précédent l'Iliade et qui racontent les causes et les préparatifs de la guerre de Troie.
Ici en l'occurrence, l'expédition grecque est rassemblée à Aulis prête à partir vers Troie mais la déesse Artémis empêche le départ par des vents contraires et exige le sacrifice d'Iphigénie, fille d'Agamemnon.
Peu importe les raisons de la colère et de l'ultimatum d'Artemis relayés par l'oracle de Calchas, l'important est que le prix à payer pour qu'Agamemnon, chef de l'expédition grecque et frère de Ménélas à qui le troyen Pâris a dérobé sa femme Hélène, puisse vaincre et détruire Troie.

Le sujet de "cette" tragédie sera donc les atermoiements et les ruses d'Agamemnon pour convaincre sa femme Clytemnestre de venir lui apporter Iphigénie.
Ruse car il prétexte un mariage - prestigieux - entre Iphigénie et le héros légendaire Achille.
Atermoiements car Agamemnon est effrayé par le prix à payer et doute même de la nécessité de ce sacrifice qui, d'entrée, avant même de commencer, signifie la mort d'Iphigénie pour une hypothétique victoire et récupération d'Hélène.
On reverra ce point qui est différent dans l'autre tragédie d'Euripide "Iphigénie en Tauride" (critique à venir).

La pièce est intéressante à examiner sous un angle politique : Agamemnon et Ménélas, qui sont les premiers artisans de cette mobilisation, ont beau jeu d'être presque d'accord, que le prix à payer, l'exigence de la déesse Artémis, est bien trop élevé et qu'il faudrait arrêter là les frais. Oui mais comment, parce que Calchas, l'oracle va tout dévoiler. Oui, mais alors, alors il faudrait tuer Calchas qui est décidément bien encombrant ...
Sauf que les jeux sont déjà faits. La discussion entre les deux frères est vaine et inutile. Ulysse et l'ensemble de l'armée, y compris Achille et ses myrmidons, sont prêts à en découdre contre Troie et ne vont pas s'arrêter au sacrifice d'une fille atride.
Cette scène entre Ménélas et Agamemnon, au début de la tragédie, me rappelle toujours la conférence à Munich où les chefs d'état démocrates n'ont pas eu d'autre choix que de se faire manger tout cru par Hitler en omettant le possible sacrifice de la Pologne, pourtant couverte par des traités de non-agression.

L'autre intérêt de la pièce est le passage en revue des différents visages de la guerre (avant qu'elle ait commencé). Ménélas et Agamemnon sont les commandants en chef qui composent, qui font des compromis et en gros, qui se mettent d'accord sur le dos de tout le monde. Il y a Achille qui est le héros étincelant. D'ailleurs, quand il est mis au fait qu'il a été l'enjeu de la venue d'Iphigénie, il est outré qu'on ait pu jouer avec les sentiments des uns et des autres et sa vanité en prend un petit coup.
Il y a toutes les jeunes filles et femmes qui assistent aux jeux des combattants au bord de la mer dans l'attente du départ et s'ébaubissent devant la virilité de ces futurs héros. Il y a Clytemnestre qui prend la mesure de son époux et du peu de cas qui est fait de leur fille et d'elle, qui a toujours été une épouse obéissante et sage. Et voit naître en son sein, le désir de vengeance ...
Puis, il y a Iphigénie qui, après un moment de dépression puis de réflexion, accepte avec joie le sacrifice pour la patrie "comme une femme heureuse et qui sauve la Grèce".
Elle y voit surtout l'immortalisation de son geste.

"Chantez avec moi, jeunes femmes, Artémis ...
Pour que mon nom devînt célèbre"