Le XIXe ne voulait pas assumer la Première Guerre mondiale et l’a reportée au siècle suivant, cette lenteur a été punie par une seconde guerre d’ampleur vingt ans après. Devenu trop paresseux et confortable, le XIXe qui avait commencé durement savait qu’il ne connaîtrait pas plus grand conquérant que Napoléon alors à quoi bon essayer ?
L’erreur de l'Europe est de s’être scindée en deux quand elle n’était encore qu’une multiplicité d’egos d’une puérilité historique.
Tous ces officiers et ces souverains portent la moustache, le même genre d’uniforme, marchent d’un pas lent et orgueilleux, des décorations et des bijoux couvrant leurs corps frêles et pas même obèses. Ils sont véritablement du même monde et se feront la guerre, comme pour avoir à la fin du conflit le privilège exclusif de porter la moustache.
L’assassin de Jaurès lui a évité d’observer la longeur et l’horreur des conflits.
Mobilisation générale française, les clochers se réveillent d’une longue torpeur, les villages se rappellent soudain les luttes des siècles.
Les chefs de gare observent tous ces visages partir au front, se demandant s'ils devraient partir aussi plutôt que d’attendre l’envahisseur.
Il aurait fallu une guerre européenne depuis l’unification de l’Allemagne, même toute petite, pour qu’au moins une génération en 1914 se souvienne de la guerre et fasse comprendre aux jeunes son horreur.
Plus de cadavres que de cailloux le long des chemins.
Les montagnes se communiquent leur nombre de morts par le vent.
Le lance-flamme transforme enfin les hommes, qu’ils soient chétifs ou robustes, en dieux de l'enfer.
Les armées autrichienne et française n’ont pas été foutues de se croiser en quatre ans.
Des millions d’hommes morts et personne n’a osé proposer d’envoyer les femmes au front, le féminisme a bien fait d’attendre la seconde moitié du XXe siècle pour s’affirmer.
Les Italiens, nation la moins courageuse d’Europe au XXe, quand les Romains de l’Antiquité conquéraient le monde, et si cons qu’ils n'ont pas conscience de la mesure de leur couardise.
Les infirmiers sont les jardiniers des champs de bataille, ils retirent les blessés et les malades pour que le spectacle de la guerre puisse continuer dans les meilleures conditions.
Les soldats prétentieux ne sont plus les cavaliers mais les pilotes d’avion, qui arrivent mieux à se démarquer les uns des autres. C’est, l’espace d’une guerre, le retour au temps des héros, des exploits individuels.
Quelle nouveauté, l’armement moderne permettait de prolonger indéfiniment les batailles, de s’entretuer sans conquête, de permettre ainsi une certaine égalité entre les belligérants, qui ne peuvent donc plus désespérer de gagner. Peuples si idiots qu’ils seraient passés dans les tranchées tout entiers si l’Europe n’avait pas été ébranlée par la naissance tardive du communisme.
Les tranchées, qui dans les époques antérieures protégeaient les murailles, devenaient maintenant des lieux d’attente et de vie, des havres difficiles à quitter aux coups de sifflet. Plutôt les rats que les balles, les maladies que l’obus.
Les tranchées se sont multipliées comme si les villes n’existaient plus et que le monde était recommencé à zéro, vide. Elles matérialisaient enfin une frontière terrestre et artificielle, plutôt que celle naturelle du Rhin, qui était apparemment une solution trop simple pour les Européens du début du XXe siècle.
Il n’était pas nécessaire de couvrir les champs de l’Europe du fer des obus pour les forcer à améliorer leur agriculture, les tracteurs faisaient déjà leur apparition.
Les films tournés sur les champs de bataille de l’époque n’avait pas de son, leur silence est plus effrayant encore que le vacarme de la Grosse Bertha.
Pendant que le cinéaste filme les troupes ou la foule certains figurants s’immobilisent, s’imaginant que c'est une photographie qui est prise et qu’ils doivent rester parfaitement immobiles pour ne pas que leur visage reste flou dans l’Histoire.
La grippe de 1918, presque tout à fait oubliée et qui a fait soixante millions de morts dans le monde, est une punition divine qui ne suffira pas à empêcher la Seconde Guerre mondiale.