Des vautours, on en croise quelques-uns dans la série, sous l’apparence bienveillante de charlatans new age toujours prêts à sauter sur des personnes vulnérables pour proposer leur poudre de perlimpinpin au prix exorbitant. Mais Belle Gibson, la première héroïne de cette histoire, appartient plutôt à l’espèce des sangsues. Les vautours sont des charognards. Elle, elle parasite.
Dans une chronologie dispersée déroutante au début, la série reconstitue son ascension fulgurante d’influenceuse qui se présente comme survivante du cancer pour attendrir, enjôler, manipuler et escroquer ses dupes, jusqu’à sa chute sans gloire.
L’autre héroïne, c’est Milla, une jeune femme à peine plus âgée. Refusant le diagnostic de la médecine scientifique (et non « conventionnelle », car la science n’est pas une convention) qui n’envisage qu’une amputation pour la sauver, elle se persuade, puis persuade ses proches, et enfin ses followers, qu’elle guérira toute seule par le pouvoir des énergies positives et des smoothies réunis. Inutile de dire ce qu’il en adviendra. Mais avant d’en mourir, elle en vit, et même très bien, ce qui donne à Belle Gibson l’idée de l’imiter. Et ça marche, au-delà de toute espérance.
Chaque épisode commence par un double rappel : si la série s’inspire d’une histoire vraie, elle a été « fictionnalisée », et la véritable Belle Gibson n’a pas été payée pour l’adaptation. Cette mise en garde est sans doute destinée à éviter aussi bien les procès que l’accusation d’engraisser la sangsue. En tout cas, le spectateur est averti : il ne s’agit pas d’un documentaire, mais de l’idée que les scénaristes se font d’une jeune femme instable, à qui Kaitlyn Dever prête son visage et son remarquable talent. A-t-on affaire à une mythomane, à une malade atteinte du syndrome de Munchausen, à une escroque cynique, capable de s’imposer à un enterrement pour voler la vedette à la morte et de manifester, quand on la contrarie, une méchanceté de vipère à qui on a marché sur la queue ?
Comme Al Capone, ce qui finit par causer sa perte, c’est l’argent. L’oseille, le blé, la thune, pierre de touche de la vérité ! Autant il est impossible de convaincre un suiveur, ou plutôt une suiveuse, qu’il n’y a pas de magie dans l’extrait de radis et que la coach autoproclamée la mène en bateau, autant il est facile d’établir que des organisations charitables n’ont pas reçu les fonds censément collectés à leur profit. Dès qu’on met le nez dans les comptes, la bulle irisée des merveilleuses énergies naturelles éclate en gouttes savonneuses qui piquent les yeux.
Habilement construite, entremêlant le parcours de quatre jeunes femmes toutes convaincantes dans leur rôle, la série donne à voir la puissance des réseaux sociaux pour fabriquer de l’illusion, ce qui n’est pas une bouleversante découverte. Plus subtilement, elle suggère que les influenceurs sont aussi fabriqués par les influencés. Qui fait perdre la tête à qui, en fin de compte ? L’illuminée qui croit guérir toute seule son cancer avec un régime vegan ou les milliers d’internautes qui la bombardent de petits cœurs sans substance pour l’encourager dans cette voie suicidaire ?
Comme Inventing Anna, autre histoire d’affabulatrice, comme Dopesick et quelques autres, les meilleures séries s’inspirent souvent d’une « histoire vraie », ancrage qui leur évite de sombrer dans la stupidité navrante de tant de produits de l’industrie cinématographique. Surtout, elles exploitent les données d’une de ces enquêtes approfondies dont sont capables les journalistes, les vrais, pas les fournisseurs d’opinions toutes faites comme on en a en France. Ils ont dressé la table pour que l’imagination puisse servir un festin. Dans ces temps où on nous assure que l’intelligence artificielle mettra au chômage aussi bien les journalistes que les scénaristes, une série comme Apple cider vinegar montre que les humains ne sont pas encore tout à fait obsolètes. Quand bien même on fournirait à Chat GPT tous les documents concernant l’affaire Belle Gibson, je doute qu’il soit capable d’en faire autant.