(contient surement des spoilers concernant l'intrigue des trois premières saisons)
Il y a trois ans je découvrais Being Human. C'est le titre qui m'a intrigué, j'ai cherché le pitch sur Internet. Et celui-ci m'avait toutefois laissé un peu froid: Un vampire, un loup-garou et un fantôme sont colocataires d'une maison à Bristol. Pourquoi cela m'a laissé froid? Parce que malgré toute la fascination que je porte au mythe du vampire depuis que je suis à l'école primaire (oui, pas attendu que les vampires clignotent au soleil pour m'y intéresser), renforcé ensuite par Joss Whedon (Buffy contre les vampires, Angel), et beaucoup beaucoup de recherches personnelles (Qui il faut le dire ont eu le don d'inquiéter mes parents qui ont cru bon de me marteler sans cesse que les vampires n'existaient pas. Genre j'étais complètement crétin.) Mais avec la folie Twilight, aussi culturellement passionnante de mon point de vue que Lady Gaga et autres Justin Bieber, j'ai eu peur.
Ma vision de l'épisode pilote a très vite eut raison de cette peur. Pourquoi? Parce que Being Human joue au delà des apparences, et que tout est dans le titre "être humain" pas le nom, non, le verbe "être" ajouté au mot "humain", tout est là dedans, une idée simple et pourtant très puissante. Les personnages de Being Human ne se contentent pas en effet d'être un vampire, un loup-garou et un fantôme. Bien plus que cela, ils nous interrogent sur la définition de l'humanité avec un petit h, ils mettent à l'épreuve les cadres que la société humaine nous imposent, les préjugés qui sont infusés en nous par le bain culturel dans lequel nous naissons, grandissons et sommes éduqués. Ils nous poussent à repenser ces définitions qu'on nous a inculquées, à sortir des cadres dans lesquels nous sommes enfermés, et à voir au delà de toutes les images formatées qui sont programmées en nous. Ils nous interrogent aussi sur notre propre humanité, nous, en tant qu'Humanité (avec un grand H pour le coup) ou en tant qu'individus, qui pouvons nous montrer bien plus cruels que la plupart des monstres dont nous avons rempli nos mythes, légendes et contes. Ils nous poussent donc à considérer en quoi nous aussi sommes déviants d'après nos propres règles morales, à considérer en quoi nous essayons nous aussi de lutter pour rester humains, pour faire partie de la société humaine.
Michell: le Vampire.
Mitchell (Aidan Turner) est l'intersection de métaphores multiples. Premièrement il est un toxicomane repenti. Il essaye de ne plus se nourrir de sang provenant de victimes en vie. Vous allez me dire que c'est du déjà-vu (Twilight, Angel). Ça ne l'est pas. Aidan est en lutte constante avec ses propres démons, avec sa soif, sa dépendance. Rien n'est propret, cette lutte contre lui même est sans merci et sans répit. Par ailleurs il porte toutes les caractéristiques du toxicomane: il essaye de se libérer de sa dépendance en s'entourant de personnes sûres: son meilleur ami, George, qui l'accepte d'autant mieux qu'il est lui aussi un monstre (le loup-garou c'est lui), et Annie, le fantôme qui fait du thé... Un entourage physique et émotionnel qui est là pour s'assurer qu'il ne rechutera pas. Pourtant au moindre accident, à la moindre fissure émotionnelle, il peut rechuter, et il rechute. D'autant plus lorsqu'il se sent trahi par les humains qu'il envie et qui lui montrent qu'ils sont aussi cruels que n'importe qui... Là il rechute gravement et massacre toute une rame de métro (bon appétit bien sur). Allant plus loin dans la réflexion, il manipule, trahit et ment à son entourage pour cacher ses moments de faiblesse et ses rechutes, étant prêt à tout pour se protéger et pour survivre. Ne se rendant pas compte des dommages et souffrances qu'il pose à ses amis/sa famille (symbolique) lorsqu'il se comporte ainsi. Mitchell est donc une figure tragique, qu'on a envie de voir s'en sortir, mais dont on sait pertinemment que la rédemption ne peut venir qu'avec son sacrifice. Lorsqu'il se rend compte de tout le mal qu'il a causé, et qu'il va encore causer (conséquences de ses actes), il se repent et demande à son meilleur ami de le tuer. (Oui on pousse un peu au niveau de la toxicomanie, mais il ne s'agit que d'une métaphore, et les conséquences chez Mitchell c'est quand même le massacre d'une rame de métro). Ce que George accepte de faire pour le libérer d'un avenir qui s'annonce sordide et sans espoir (on aborde ici plus subtilement le thème de l'euthanasie, sujet délicat traité plusieurs fois au cours de la série), et transformer le monstre en humain, le méchant et héros.
Le vampirisme sert aussi à nous poser la question de l'immortalité: qu'en ferions-nous si nous l'avions, nous qui cherchons à éviter la mort à tout prix?
La société des vampires et Mitchell qui en est le produit mais qui malgré tout s'en échappe pour tenter de rejoindre l'humanité: nous pose plusieurs questions:
- Peut-on s'échapper d'une société dans laquelle on e été élevé et éduqué? Peut-on échapper à ce bain culturel? A ses réflexes?
- L'Immigration, ou comment la société d'accueil peut se montrer tout aussi violente et plus incompréhensible que celle dont on a eu tant de mal à s'arracher. A partir de là, peut-on vraiment croire et dire qu'un système est fondamentalement bon parce qu'il est théoriquement meilleur que les autres ? (Nous qui vivons dans le pays des Droits de l'Homme, et qui nous cachons derrière ce titre, n'y a-t-il rien qui nous choque, qui nous fasse réagir au vu des évènement politiques intérieurs et extérieurs récents? par exemple).
George: le Loup-Garou
La lycanthropie est aussi le lieu de plusieurs métaphores. Pour commencer le passage à l'âge adulte: George (Russel Tovey) au cours de son voyage est le personnage qui tend le plus à aller vers l'âge adulte, sans doute parce que son état n'altère pas le fait qu'il vieillit (contrairement au vampire et au fantôme), ainsi, au fur et à mesure il se met en couple avec Nina (qu'il a transformée en loup-garou à son insu) et va former une famille, puisque Nina est enceinte. Il passe vraiment à l'âge adulte au moment où il tue Mitchell son meilleur ami. S'il fonde une famille et que son bébé naît: Mitchell ne peut pas faire partie de cet environnement. Ainsi malgré tous les sentiments qu'il porte à son ami (et le fait qu'il le libère d'une destinée funeste), il prend la décision qui le protège lui et avant tout la mère de son enfant et son enfant. La décision qui est sans doute la plus difficile à prendre: faire un trait sur le passé, et penser à l'avenir. George rencontre ce type de choix à divers degrés dans la série: quand il devient un loup-garou il fuit sa famille pour les protéger. Tuer Mitchell est cependant l'acte le plus révélateur et symbolique: cela nécessite un engagement total, il ne fuit plus, il agit.
Parallèlement Being Human projette aussi à travers le couple Nina/George les peurs de nouveaux parents. Ils sont tous les deux des loup-garous: nul ne sait ce que l'enfant sera, et s'il sera lui aussi un "monstre" comme eux. On peut y voir aussi une manière de traiter de nouveaux genres de famille, Nina et George sont des loup-garous et en cela vont former un modèle de famille qui au moment de la naissance n'était initialement pas prévu par les règles du monde dans lequel ils vivent (ce sont les premiers à le faire). De manière plus générale, Being Human remet en question depuis le premier épisode la définition de ce que l'on appelle une famille. Annie, George et Mitchell ne sont peut-être pas liés par le sang, ils sont peut être tous des monstres, mais ils forment une famille à plus d'un titre. Being Human défend donc le fait que le modèle familial n'est donc plus un couple homme-femme avec deux enfant, mais que la famille est quelque chose de beaucoup plus flexible. La famille traditionnelle a explosé: un loup-garou, un vampire et un fantôme peuvent former une famille. D'ailleurs aux yeux du monde, au début seuls Mitchell et George vivent ensemble dans la maison (Annie est invisible aux yeux des humains)... (Je pense que Christine Boutin ferait une crise d'apoplexie devant cette série).
Le loup-garou c'est aussi admettre que nous sommes des animaux, que nous avons une part de bestialité. Dans notre société actuelle il est de plus en plus difficile et mal vu d'exprimer cette part d'animalité. Cependant à force de la réprimer (à forces de commandements culturo-moralo-religeux), si nous ne laissons pas l'animal qui est en nous s'exprimer, nous risquons d'exploser: la transformation en loup-garou (gestion de la colère, crises de nerfs, ruptures psychotiques...).
Annie: Le Fantôme
Annie (Lenora Crichlow) est l'incarnation des violences conjugales. En effet, au début de la série, on apprend qu'elle est morte en tombant dans les escaliers. Son fiancé loue donc la maison à Mitchell et George. Or Annie est quelqu'un qui n'a pas beaucoup sûre d'elle, qui est sujette à de fréquentes crises d'angoisses (répercussions sur la plomberie, les ampoules qui explosent et les murs qui tremblent) et surtout elle ne se souvient pas des circonstances exactes de sa mort. C'est au contact de George et de Mitchell, vecteurs ici de sécurité et de stabilité, qu'elle se rendra compte que lors d'une crise de jalousie violente, son fiancé la poussa dans les escaliers. Annie ne veut pas se souvenir, Annie est encore amoureuse de lui, Annie ne veut pas voir le monstre véritable qui se cachait sous l'apparence de son fiancé qui n'est ni un vampire, ni un monstre, mais un simple humain : ce qui est d'autant plus fort, les véritables monstres sont malheureusement bien humains. Ainsi Annie gagnera en assurance au contact de sa nouvelle famille, et ce n'est sans doute pas un hasard si elle tombera amoureuse de Mitchell, un homme qu'elle sait dangereux (puisque c'est un vampire). Si elle est un fantôme, c'est sans doute aussi parce que malgré toutes les campagnes contre les violence conjugales et contre les maltraitances faites sur les femmes (physiques ou psychologiques), les statistiques ne changent pas: nous savons que cela existe, mais nous ne le voyons pas (ou nous ne voulons pas le voir). On sait par ailleurs aussi qu'Annie ignore encore tout de sa véritable puissance. Est-ce un hasard quand elle a été élevée dans une société qui célèbre toujours le modèle patriarcal? Même en sachant ses failles, ses absurdités, on (en grande majorité) ne souhaite pas en changer: parce que les hommes détiennent encore les clés du pouvoir, parce que le changement fait peur. C'est d'Annie que vient le début de la rédemption de Mitchell: elle le convainc de se rendre, elle veut que lui assume les conséquences de ses actes contrairement à son fiancé. D'ailleurs elle n'a elle même atteint la paix elle même qu'en confrontant son fiancé/meurtrier.
Being Human, brillamment interprétée par l'ensemble de son casting, a été créée et façonnée par Toby Whithouse. C'est une série à découvrir (en français sous le titre complètement injustifié de Being Human: La Confrérie de l'Étrange) qui saura vous faire passer des rires aux larmes (et vice-versa) mais qui est aussi là pour nous poser des questions sans nous en livrer les réponses. Cet article ne se veut en aucun cas comme une interprétation officielle de la série ou comme un décodage, mais plutôt comme quelque chose de très personnel. Rares sont les séries qui parviennent autant à m'impliquer émotionellement et intellectuellement (sinon ce blog pullulerait d'articles). J'attends avec impatience la saison 4. Il faut savoir qu'un remake est en cours de production aux Etats-Unis, il a cela d'intéressant qu'il n'est pas un simple copié-collé et se permet donc d'étudier certaines problématiques avec des éclairages différents (notamment le rapport de George à sa famille d'origine) et en déviant de temps à autres de la trame anglaise (par contre Sam Witwer, si tu me lis, il y a des chances que tu doives chercher du boulot, dans deux ans ton personnage risque de se faire tuer en fin de saison 3, petit conseil d'ami. De rien ça me fait plaisir. Bisou.) Sur ce je vais me faire un épisode de Glee (ben oui, il faut aussi décompresser du bulbe de temps en temps).
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