Désormais sérieux et carrément has been, le "décalé" fut beaucoup employé pour qualifier des démarches dangereusement révolutionnaires, de celles qui froufroutaient dans les années 80-90, les "sucer c'est tromper ?" de lunettes noires pour nuits cocaïnées et autres trucs salaces et/ou cryptés. Ce petit adjectif en éé est maintenant tellement dévoyé que l'on ne sait plus par rapport à quoi ça l'est, décalé. Et donc, l'objet de cette "critique" est un talk show, un échange entre un personnage central et un personnage accessoire, un vecteur. Lorsque l'interview est décalée, l'interviewer occupe le centre et non l'interviewé, proposant au spectateur un univers parallèle et de ce fait vachement goleri (si tout va bien).
En France, nous avons eu un maître en la matière : Desproges dans Le Petit Rapporteur (ici accompagné du génial Prévost). Puis, en Desproges copié-mais-super-difficile-à-égaler, nous avons eu Raphaël Mezrahi. Et là, le décalage n'est pas vraiment réussi. L'interviewer est systématiquement moins drôle que ses invités, dont on rit éventuellement de la surprise, de l'incompréhension, de la colère ou même du calme (exemple ici d'un Brad Pitt très pro qui finit par balancer la seule réplique marrante). Parfois on ne rigole pas du tout, éventuellement on ricane (exemple ici d'un Lambert Wilson qui tombait peu après en dépression, en partie à cause de cette interview "se vante" Mezrahi).
Between Two Ferns c'est encore autre chose, quelque chose de vachement plus ricain. Il y a cette sorte de méchanceté qui va vers l'enfantillage tant elle ne s'assume pas mais reste ici aussi drôle qu'absurde.
Dénuement du décor et musique d’ascenseur moquent franchement l'exercice et le présentateur se fait rarement voler la vedette. On rit essentiellement de lui, Zach Galifianakis (également co-prod). Alors, oui, par le passé j'ai médit de lui ici très bas, my bad, j'étais véner, et ignorante. Galifianakis est un grand comédien donc un grand acteur doté d'un indéniable talent comique.
Le charme qui se dégage de ces vraies-fausses interviews tient aussi beaucoup au fait que tout est écrit, donc tout est joué (dans tous les sens du terme) ; à chaque invité on se demande jusqu'où va la complicité et où émerge l'improvisation. Ça va du Brad Pitt stoïque (pour le reprendre en exemple) au ping-pong de vannes puériles avec Steve Carell, en passant par la caricature outrancière avec Will Ferrell.
Show en cours depuis 2008, 22 épisodes tout à fait inégaux à se mettre sous la dent sur Funny Or Die, et un film sur Netflix. Bon, contrairement au show, le film ne manque pas de tomber dans la niaiserie sur la fin, conformément au fameux principe rédempteur de méchanceté à l'américaine. Probablement une marque de la grande confiance des producteurs en l'intelligence de leurs spectateurs ; comme dit Desproges, "Le rire n'est jamais gratuit : l'homme donne à pleurer mais il prête à rire".