Blacklist
6.1
Blacklist

Série NBC (2013)

Voir la série

Qui est Raymond Reddington ?

C’est la question que se posera longtemps le spectateur de Blacklist, série d’espionnage au long cours, bourrée de faux semblants, de trahisons et de sous-intrigues à rallonge.

Raymond "Red" Reddington en est l’anti-héros. Une sorte de super-criminel tout droit sorti d’un (bon) James Bond, l’allure, les répliques acerbes et la vindicte impitoyable qui vont avec. Flegmatique, raffiné, beau parleur et faussement sociable, le personnage a pour lui d’être à la fois le moteur et l’attraction principale de l’intrigue.

Présenté dès le pilote (réalisé par Joe Carnahan) comme l’ennemi public n°1, cet ancien amiral de l’US Navy, tenu coupable de haute trahison, finit par se rendre, au bout de vingt ans de cavale, au siège-même du FBI pour des raisons connues de lui-seul. Son objectif initial parait au demeurant des plus simples : en échange d’une immunité temporaire et officieuse, il propose au FBI de mettre à profit son statut de « concierge du crime » en leur donnant régulièrement les identités de redoutables criminels, trafiquants, assassins et autres terroristes. Sa seule condition : il ne veut négocier qu’avec une personne, Elizabeth Keen. Une jeune profileuse, fraichement promue au FBI, et qui semble a priori n’avoir aucun lien avec Reddington.

Le mystère quant à la volonté du criminel de se rapprocher de la jeune femme demeurera longtemps sans réponse, faisant à la fois tout le sel de la série tout en menaçant de lasser le spectateur. Les nombreuses circonvolutions de l’intrigue censées maintenir ce secret peuvent être vues comme un prétexte de rallonger l’histoire ad aeternam, la nourrissant avec quelques fausses pistes et bon nombre de nouvelles questions sans pour autant donner de réponse claire à celle qui sert de principal moteur à la série.

Et pourtant, malgré ce syndrome fâcheux de la série qui semble ne pas vouloir finir, Blacklist se regarde et s’apprécie beaucoup. Non seulement pour sa galerie de personnages ambivalents, mais aussi et surtout pour cette relation étrange au centre de l’intrigue. Calquée de manière évidente sur celle de Clarice Starling/Hannibal Lecter dans Le Silence des agneaux (le pilote de la série cligne ouvertement de l’œil au film de Jonathan Demme mais aussi au Seven de Fincher, avec la reddition surprenante d’un criminel dans les locaux des autorités), la relation Keen/Reddington offrira son lot de défiance et d’ambiguïté, évoluant progressivement en un lien père/fille que les scénaristes prendront un malin plaisir à manipuler pour mieux perdre le spectateur. Ainsi de cette quasi-certitude que Reddington est le père d'Elizabeth, affirmée par un personnage lors de la saison six puis contredite par une autre révélation de taille la saison suivante, nous préparant subtilement à encaisser de plein fouet la claque monumentale de la saison huit.

On en revient donc continuellement à la question de savoir qui est vraiment Reddington. Un imposteur manipulant son monde ? Un père souhaitant protéger sa fille ? Un criminel en quête de rédemption ? Ou un génie du crime plaçant habilement ses pions dans le but de consolider son empire criminel ? Et pourquoi tient-il tant que ça à protéger Elizabeth Keen tout en lui cachant la vérité, quitte à endosser le rôle du salaud aux yeux de la jeune femme ?

La révélation de l’identité de Reddington, habilement amenée en fin de huitième saison, confirmera alors, par le biais de quelques flashbacks de différentes scènes de la série, que les scénaristes n’ont jamais perdu de vue leur objectif initial et savaient depuis longtemps quelle était l’identité véritable de leur anti-héros. L’explication impose bien sûr une certaine suspension d’incrédulité tant elle repose sur un beau paradoxe (Keen est souvent envoyée au feu malgré son statut de protégée) mais reste toutefois cohérente à l’aune des actions et de l’attitude du personnage de Reddington.

D’aucuns trouveront même cette révélation assez originale dans sa façon d’être annoncée sans être verbalisée par le moindre dialogue, les auteurs privilégiant les images aux mots pour nous asséner l’étonnante vérité. Les derniers instants de la saison 8 laissent ainsi filtrer suffisamment d’indices, de flashbacks, de regards lourds de signification entre les personnages, pour permettre à Elizabeth Keen, ainsi qu’aux spectateurs, de réaliser par eux-mêmes qui est vraiment Reddington. Et autant dire qu’on a beau envisager bon nombre de pistes, il faut bien reconnaitre que les scénaristes se sont montrés particulièrement malins pour nous préparer une révélation aussi frappante qu’un coup de feu. Une révélation qui, dans la vie des personnages, arrivera hélas trop tard.

Avec son lot de péripéties et de retournements de situations, Blacklist nous offre une intéressante réflexion sous-jacente. Il suffit de voir le parcours de Katarina Koslova, espionne instrumentalisée par un père faisant d’elle « le fils qu’il n’a jamais eu » et la prostituant pour avoir accès à des informations de premier ordre, d’assister à la trahison d’Ilya Koslov qui préférera sacrifier son aimée plutôt que de mettre en péril son organisation, de s’interroger sur le fameux surnom de « Monsieur » Kaplan attribué à la mystérieuse associée de Reddington ou encore de voir la vie d’Elizabeth Keen lui échapper toujours plus tout au long de la série alors même que le personnage ne fait que de combattre sa condition d’élue, pour se dire que, moins simpliste qu’elle n’y parait, Blacklist pose un regard subtil sur les rapports de domination patriarcale et sur les abus de pouvoirs sexistes qui en découlent.

Après tout, n’est-ce pas parce qu’il s’inquiète de voir Elizabeth se mettre en couple avec un homme qui n’est pas ce qu’il semble être (comme l’était d’ailleurs Koslova quand elle a autrefois séduit Reddington) que Reddington décide de sortir de l’ombre pour entrer dans la vie de la jeune femme et la protéger à son insu ?

De toutes les meilleures scènes, James Spader est évidemment la principale raison d’apprécier la série. Alternant habilement la grandiloquence de l’orateur tarasconien et la froideur meurtrière d’un criminel implacable (voir ses nombreuses exécutions), l’acteur de Stargate et de Wolf, déjà célèbre pour ses plaidoiries enflammées dans la série Boston Justice, trouve ici un rôle tout à sa mesure et crée un personnage assez fascinant tant il se révèle pétri de zones d’ombre et de contradictions. Aussi rusé que flegmatique, particulièrement redoutable, parfois drôle et jamais en manque de ressources, flanqué d’un garde du corps à la loyauté indéfectible et de quelques associés plus ou moins fiables, Raymond Reddington est un anti-héros emblématique de son époque, un criminel de génie jouant les justiciers et retournant tout à son avantage dans un monde où prévaut la corruption des puissants et la super-criminalité internationale.

A ses côtés, les autres héros de la série, s’ils sont tous parfaitement interprétés, font un peu pâle figure, et ce même si les scénaristes ne les traitent jamais par dessous la jambe (la relation trompeuse entre Liz et Tom est plutôt bien exploitée, l’intégrité de Ressler et de Cooper est souvent mise à rude épreuve et même le personnage pourtant secondaire de M. Kaplan aura droit à un traitement de choix).

La petite originalité de Blacklist réside par ailleurs dans son casting d’acteurs invités, souvent des seconds couteaux aux gueules bien connues (Tom Noonan, Robert Knepper, Famke Janssen, Alan Alda, Peter Stormare, David Strathairn, Tony Shalhoub, Isabella Rossellini, Ron Perlman, Jake Weber, Linus Roache, Gloria Reuben, David Zayas, Lance Reddick, Joely Richardson, Arnold Vosloo, Brian Dennehy, Stacy Keach, Craig Bierko, Ralph Brown, Lance Henriksen et bien d'autres), cachetonnant bien souvent le temps d’un seul épisode et alimentant une mythologie riche en figures inquiétantes et redoutables. Chaque épisode est d’ailleurs intitulé du nom de l’antagoniste que devront retrouver et bien souvent affronter les héros, ce qui pourrait laisser croire que la série privilégie le modèle une enquête/un épisode alors que son intrigue est en réalité développée sur le long cours.

Bourrée de séquences mémorables (l’explosion du sénateur Fitch dans le cube d’isolement, l’exécution du criminel Berlin, la fusillade au mariage de Liz, la plaidoirie de Red à son procès, l’ultime scène de la huitième saison), Blacklist s’avère être une série aussi addictive que divertissante et s’impose naturellement comme la digne héritière d’Alias (dont elle reprend pas mal des ingrédients, le côté fantaisiste en moins). La saison 9 trahissant une volonté de poursuivre inutilement la série au-delà de son postulat initial, il reste juste à espérer que les scénaristes offrent une conclusion digne des attentes à la trajectoire de ce cher Monsieur Reddington.

Buddy_Noone
7
Écrit par

Créée

le 10 juil. 2023

Critique lue 20.3K fois

7 j'aime

2 commentaires

Buddy_Noone

Écrit par

Critique lue 20.3K fois

7
2

D'autres avis sur Blacklist

Blacklist
DamienYoccoz
7

Un acteur, un rôle de génie, et les autres

Une série que je regarde presque uniquement pour James Spader et son personnage si brillamment écrit et interprété. Antihéros classe, épicurien, non conventionnel, à l'esprit méthodique glaçant et...

le 8 sept. 2016

29 j'aime

Blacklist
AlisherGaniev
2

Cinq !

Une série que je regarde principalement pour compter les expressions faciales de Megan Boone. Arrivé au milieu de la saison 2, j'en suis à 5. Le bonheur, c'est quand elle est heureuse. :). La...

le 28 mars 2015

14 j'aime

5

Blacklist
toma_uberwenig
6

Liste délavée

EDIT : "Et ça continue encore et encore..."Je pensais/croyais sérieusement qu'une fois les "enjeux" révélés des deux premières saisons, elle allait mourir de sa "belle mort", cette série, mais non,...

le 14 mai 2014

11 j'aime

2

Du même critique

Les Fils de l'homme
Buddy_Noone
9

La balade de Théo

Novembre 2027. L'humanité agonise, aucune naissance n'a eu lieu depuis 18 ans. Pas l'ombre d'un seul enfant dans le monde. Tandis que le cadet de l'humanité vient d'être assassiné et que le monde...

le 18 juil. 2014

95 j'aime

6

Jurassic World
Buddy_Noone
4

Ingen-Yutani

En 1993, sortait avec le succès que l'on sait le premier opus de la franchise Jurassic Park. En combinant les différentes techniques de SFX et en poussant à leur paroxysme des images de synthèse...

le 16 juin 2015

85 j'aime

32