Cette critique a été écrite pour le site Seul le Cinéma, vous pouvez la retrouver en cliquant sur ce lien.
Depuis quelques années, à peu près quand les différents services de SVOD ont pris de l’ampleur, soit le milieu des années 2010, les séries d’animations pour adultes se sont multipliées, faisant une petite concurrence aux Simpsons, ayant le quasi-monopole du genre depuis la fin des années 80. La nouvelle grande star dans le domaine est évidemment Rick and Morty, qui suit un scientifique fou et alcoolique et son petit-fils dans leurs aventures interdimensionnelles, série ayant eu une popularité fulgurante, notamment grâce aux innombrables mèmes qu’elle a engendrés. Et, à l’ombre de ce mastodonte de l’humour animé, s’est terminé fin janvier presque anonymement une autre série, bien plus à même de jongler avec des registres différents : BoJack Horseman.
Produite par Netflix et créée par Raphael Bob-Waksberg, cette série prend place dans un monde semblable au nôtre, avec les mêmes villes, les mêmes références, la même culture, au détail près que les êtres humains se mélangent avec des animaux anthropomorphisés. Univers particulier dans lequel nous suivons, pendant six saisons, le parcours de BoJack Horseman, un cheval et acteur has-been des années 90, période pendant laquelle il était la star d’une sitcom et jouissait d’une notoriété presque mondiale. Désabusé, cynique, alcoolique et autodestructeur, il essaie tant bien que mal de se refaire une réputation.
Sous ses airs de satire sociale et de l’industrie hollywoodienne, BoJack Horseman, est, à l’image de son héros éponyme, une série dépressive. Elle reste humoristique sur de nombreux points, que ce soit par des dialogues finement écrits, de nombreux personnages ayant une façon de s’exprimer très particulière (allitérations, accents, champs lexicaux précis…), ou par des gags visuels et situations extrêmement burlesques, les animaux anthropomorphisés gardant des caractéristiques tout à fait animales – par exemple, Mr Peanutbutter, un chien et ami de BoJack, va lever ses oreilles et haleter la langue pendue, comme un vrai labrador, afin d’exprimer sa joie. Mais le parcours semé d’embûches de BoJack mène la série vers une dimension plus mélancolique, ou parfois vers la tragédie, avec des situations qui dépassent complètement notre héros et ce qui l’entoure, tout en gardant un caractère plus humain, plus terre à terre, grâce à une écriture subtile des différents personnages, qui, s’ils semblent au premier abord se limiter à une nature très typée, vont chacun développer une psychologie plus complexe, psychologie les menant à prendre de bonnes ou de mauvaises décisions. Bien que la moitié des personnages soient des animaux, qui plus est animés, ils sont cependant fatalement humains, parfois plus que dans des séries plus classiques.
Outre ses qualités d’écriture, BoJack Horseman est remarquable par les partis-pris de certains épisodes, qui peuvent changer complètement de tonalité voire de style : Fish Out of Water, quatrième épisode de la troisième saison, où le héros va faire la promotion de son film dans les profondeurs de l’océan Pacifique, est devenu célèbre par son absence totale de dialogue, emmenant la série sur un autre type d’atmosphère, plus flottante, plus onirique. La satire laisse place, le temps d’un épisode, à une fable, à la tonalité tout aussi mélancolique. Et dans cette mélancolie se perçoit une certaine violence : violence d’Hollywood, des relations humaines, de l’amour, de la haine, qui peuvent entraîner des destructions multiples, de couples, de carrières, de vie.
Si BoJack Horseman est un chef-d’œuvre de l’animation, il faut cependant admettre que sa première saison, qui se cherche et n’arrive pas totalement à se choisir un ton, une façon de raconter, peut facilement laisser le spectateur le plus sceptique sur le carreau. C’est la deuxième saison qui offre un crescendo, avant d’accélérer tout au long de la troisième, se terminant sur un point d’orgue qui est aussi un moment de dépression, et permet à la série de prendre un nouveau départ, plus introspectif, à l’aube de la quatrième saison. S’ensuit alors une remontée plus calme, plus fragile, en équilibre sur une corde raide, où la moindre perte d’équilibre peut faire sombrer le héros, et avec lui le spectateur, dans un trou béant.