N'importe qui ayant adoré Lain (hum, "adorer" est un terme encore trop fort. On dira, qui s'est laissé porter et a plus ou moins apprécié "la série" --cf ma chronique de Serial Experiments Lain sur SC) souhaitera dès lors prolonger l'expérience en se perdant dans les méandres de Boogiepop Phantom, plus labyrinthique, plus sombre encore mais parfois trop à lever plusieurs lièvres à la fois et disposera donc d'un impact moindre au visionnage que sa consoeur même si je ne renie en rien sa qualité.
Tout comme Lain, BP fait partie de cette vague de séries animées de la fin des 90's, début 2000 qui choisit d'aborder des questionnements plus profonds, quitte à bousculer volontairement son public. Evangelion avait ouvert une brèche, certains s'y sont aventurés. J'avais évoqué la présence de Lynch par moments chez Lain, elle ne faiblit nullement ici mais il faudra en plus composer avec des temporalités différentes (entre le présent et des évènements s'y étant déroulés plusieurs mois voire années avant), une esthétique noyée de couleurs délavées (et d'un halo sombre qui entoure le cadre de l'écran, comme si un personnage-narrateur nous donnait à voir ses propres souvenirs eux-mêmes un peu flou de toute l'affaire), un travail aussi perfectionniste que Lain sur le son et la musique et un récit complètement fragmenté où chaque épisode traite d'un personnage en laissant volontairement de côté le ou les héros !
Ceux-ci n'interviennent qu'en fond ou dans une scène déconnectée plus ou moins de ce que comprend le personnage principal de l'épisode et c'est au spectateur --n'ayant le plus souvent lu aucun des romans dont la série est adaptée ! Et pour cause, rien n'est traduit chez nous (sic) -- de faire le lien de mémoire avec tout ce qu'il a vu et compris. Prévoyez donc un carnet pour prendre des notes comme pour certains jeux vidéos qui vous donnent du fil à retordre dans les énigmes (coucou la saga MYST), parce que là, tout se pose volontairement en énigme.
Cela dit, comme pour Lain où un épisode donnait une bonne partie des clés (le 9, Protocol), Boogiepop Phantom dispose à deux reprises d'épisodes clés qui permettent au spectateur de souffler. C'est le Interlude en 5è épisode, génial où un policier non-humain n'hésite pas à se confier à son collègue de plus en plus horrifié avant de lui effacer la mémoire à défaut de le zigouiller. Et qu'on comprenne que ce n'est pas la première fois. Naturellement chacune des confessions du faux-flic (échappé d'un Stephen King ? Ceux qui ont lu Minuit 2 et Minuit 4 comprendront mon clin d'oeil) est en fait vraie et révèle chacune des horreurs de la réalité lié au monde de Boogiepop Phantom où une Aurore boréale stagne dans le ciel du coup d'une trop forte et anormale concentration de champs magnétiques. C'est l'avant dernier épisode consacré à Manaka, la petite fille qui fait jaillir d'étonnants papillons de lumière de ses mains durant toute la série, probablement le personnage le plus important en fait de l'histoire, qui agit comme une sorte de déclic chez tous les autres. A côté de cet épisode, le final sera en couleur réelles, trop irréaliste après ces tons délavés auquel on a dû pourtant difficilement s'habituer !
Comme chaque épisode évoque un personnage bien distinct (qui en croise un autre au détour d'une scène qu'on comprendra l'épisode d'après puisqu'on changera de personnage à nouveau, vous me suivez ?), on a pas le temps de s'attacher à eux, ni même à Nagi ou Toka qui pourtant détiennent toutes les clés (mais sont en "filigrane"). Et c'est tant mieux parce qu'une bonne partie n'arrivera pas forcément vivant jusqu'à la fin... Le choix très adulte (un épisode = un personnage mais aussi une exploration de sa pensée, livrée quasiment brut) peut être souligné et encouragé même si on aurait aimé plus d'empathie.
Là où le final de Lain me mettait littéralement sur le cul (tout comme pour Evangelion), j'ai trouvé Boogiepop Phantom génial lors de mon premier visionnage mais j'avais dû m'aider de lectures et d'un site internet qui n'existe plus désormais sur la toile. Tandis que Lain, j'avais réfléchi et trouvé tout tout seul. Lain permet ce développement, et de l'histoire et de la pensée parce qu'elle critique tout à la fois la société (et son repli sur le virtuel, sujet encore très actuel) que l'autisme d'une ado presque comme les autres (là aussi le sujet est à jour). Boogiepop Phantom aborde plusieurs sujets durs mais même en allant très loin, n'explore pas plus les portes ouvertes, ne creuse pas plus sur toute la série tous les thèmes comme Lain. Bref, un excellent complément à Lain si on veut mais qui ne la dépasse pas et en soi c'est donc pas plus mal.