De Buster Keaton à Scarface
-Garanti sans spoil-
S’attaquer à une série télévisée, c’est comme partir pour une longue croisière. L’embarcation est plus ou moins classieuse et même si la moralité des passagers est souvent douteuse votre attachement est essentielle. Les escales ne doivent pas être trop longues. Ce qui compte, c’est l’ambiance que fait régner le capitaine sur le bateau. Si vous avez la chance de dîner à sa table, les histoires qu’il raconte doivent être savoureuses, dignes d’une Shéhérazade en déshabillé.
Avec Breaking Bad, les péripéties de Mister White sont tempêtueuses. Ce type montré au début comme le pire des naïfs, doté d’une poisse adhésive double face va-t-il se transformer au fil du voyage en un monstre froid? Une courbe aussi net ne mériterait aucun intérêt. Les sentiments qu’inspire le personnage pousse l’ambiguïté à son paroxysme. C’est la marque des grands scénarios. De plus ici, point d’étirement alambiqué auquel les séries nous soumettent trop souvent. On a droit à un bon film de vingt heures qui nous pousse à redouter les pauses pipi.
Quand la fin est proche, la société nous dicte de mettre femme et enfants à l’abri du besoin. M. White, atteint d’un cancer phase terminale, sent qu’il n’a pas toujours fait les bons choix. Et pour ça il enrage mais a bien l’intention de se rattraper et vite. Ce pourrait être l‘éloge du sens des responsabilités, mais encore ici la morale aurait vite fait de nous ennuyer. Ce brave prof de chimie va donc mettre son savoir faire au service du pire en satisfaisant l’addiction pour les amphéts de nos chers têtes blondes. Mais aussi terrifiante que puisse être la démarche, les scénaristes poussent le bouchon encore plus loin dans l’analyse de nos bas instincts. Plus fort que Dexter, Tony Soprano ou Frank Underwood, Mister White nous entraine dans nos propres méandres. Au diable la famille et la morale. Se sentir vivant, n’est-ce pas ce sentiment auquel nous aspirons tous?