Bref.2
8.1
Bref.2

Série Disney+ (2025)

Les femmes (bourgeoises) sont formidables

On prend les mêmes et on recommence... presque.


"Bref" était un monument des années 2010 pour tout un tas de bonnes raisons. Fruit de la culture internet de cette période, le montage était cut, le propos était léger (souvent) et grave (parfois) avec une subtilité rafraichissante, les références étaient abondantes et assumées et la cohérence de l'écriture forçait le respect.


La saison 2 démarre sur un postulat simple : "Je" est un adulescent de 40 ans qui s'est laissé porter sur la dernière décennie comme il l'avait fait pour la précédente. Ses absences de choix clairs l'ont amené à se prendre une série de masto-baffes dans la gueule qui le conduisent à une très grosse remise en question personnelle dans tous les aspects de sa vie : amoureuse, amicale, professionnelle et familiale. Dans sa quête, il sera aidé par ses proches amis : Julien, Marla, Baptiste et Ben, chacun à leur manière. Parallèlement et comme un rappel de son passé, "cette fille" est devenue une actrice à succès, dont le premier film raconte son point de vue sur leur histoire passée pendant que lui, ce nul, est devenu un chauve bedonnant qui vivote dans un boulot qui ne lui plait pas.


Cette nouvelle aventure a de nombreuses qualités indéniables :

  • Le passage au format long à qui certaines critiques reprochent l'étirement et la dilution du propos m'a semblé très cohérent avec les inspirations évidentes de la série (Kaamelott, saison 6) et plutôt bien maitrisé à quelques exceptions près ;
  • La réalisation est impeccable, rythmée et les idées de mise en scène font penser à un mariage d'amour entre théâtre, série et film de Fincher ;
  • La cohérence et l'amour du produit transpirent par toutes les frames d'animation de la proposition : pas un épisode sans un renvoi, une petite "memberberry" pour la route, sans une attention portée aux personnages, à leur lore, à leur mise en place dans la saison 1 (SuperFlippant qui devient SuperPapa, Ben déjà peu fiable avant qui devient un connard fini, Marla hésitante qui choisit tous les parfums...). Un amour communicatif sincère pour le travail accompli ;
  • La partie sur les dynamiques familiales est pas mal, pas parfaite mais plutôt correctement abordée ;
  • Le propos du récit est intéressant et très révélateur (parfois trop) sur le phénomène des adulescents, particulièrement mecs, qui sans être une majorité (même dans la série), existent au sens de "on en connait tous un".

Tous les louanges sur ces aspects sont très mérités, je respecte toujours le travail bien fait et c'est particulièrement le cas pour ceux-ci. Maintenant, au sortir du visionnage de cette saison et particulièrement en ayant revu la saison 1 en parallèle, plusieurs choses m'ont dérangé.


En premier lieu, le manichéisme central des rapports hommes/femmes qui ne respecte pas le propos et le ton de la saison 1. Dans la première saison, tout le monde tâtonne, pas simplement "Je", ses amis, ses parents, ses amours. Personne n'est parfait, personne ne fait tous les bons choix car c'est fondamentalement impossible, c'était même l'un des propos de cette saison. Dans la seconde saison et pour faire très court, si "Je" était un peu plus une femme, il serait vraiment un meilleur homme. Car être un homme, c'est vraiment de la merde, sauf si tu es homosexuel (son frère) ou papa (Baptiste). À part la première ex haute en couleur, TOUTES les femmes font ou ont fait les bons choix, ont les bons conseils, et n'ont absolument rien à se reprocher, ou du moins n'ont fait souffrir qu'elle-même si c'est le cas. Et si les femmes (bourgeoises) sont formidables, on sait qui on doit chercher... Suivez mon regard.


On notera d'abord la présence de la moitié de Camille & Justine qui conseille à Sarah de quitter ce nul de "Je", le livre King Kong Théorie de Despentes lu par Billie lorsqu'elle a son arc de sortie de relation toxique avec Ben, l'omniprésence de la psychologisation (psyrose ?) jusqu'à sa personnification avec le rôle d'Astier (très bon) et bien d'autres détails trèèèèèèèèèèès appuyés. L'école des oncles, c'est un fantasme féministe mis en scène.


Tout cela pour permettre de déconstruire-han cette masculinité tyrannique, absurde et d'un autre temps pour la remplacer par la bienveillance, les câlins, l'introspection, le polyamour et la liberté (chérie). En ce sens, la publicité sur le jouet qui pleure est, là encore, un fantasme féministe.


Là où le duo des créateurs est malin, c'est qu'il s'appuie sur la partie de cette idéologie qui reste intéressante : la révélation de symptômes. S'ils en étaient restés là, à la rigueur pourquoi pas ? Mais là où tout prend l'eau, c'est qu'à vouloir en intégrer les explications qui vont avec, la série trahit son parti pris au risque de saboter son propos. Pour faire simple, toutes les relations de "Je" sont présentées comme une succession d'échecs absolument tous dus à sa lâcheté. Cet axiome permet de faire découler la suite du propos : ses précédentes ex étaient toutes (sauf la camée) dans le vrai : c'est un connard, égocentrique, manipulateur, incapable de remise en question. Ce qui, au regard de la saison 1, est une inflation suspecte des mauvais penchants présentés alors au mieux, une extrapolation très cavalière au pire.


Pourtant, on ne comprend pas bien comment de "maladroit un peu lâche", le héros est devenu l'antagoniste de toutes ses relations... décrites dans la saison 1 comme bancales des deux côtés, encore une fois. Il est présenté comme un trompeur de compétition par Marla mais n'a fauté que deux fois, qu'il a amèrement regretté (scène avec le nuage de mots-clés "lâche", "nul" dans son lit) puis avoué. On est loin du fuck-boy prototypique.


Plus largement, il y a une rupture entre le propos de la saison 1 et celle-ci. Des choses présentées avant comme un ressort comique sont maintenant autant de signaux d'alerte gravissimes (l'éloignement des amis : dans la saison 1, Sarah jette littéralement ses bijoux de famille métaphorique et fait disparaitre Liberté et l'enfant en lui, dans la seconde, lorsque c'est Billie qui s'éloigne à cause de Ben, SAITRAIGRAV). Et malheureusement, le seul détail qui a changé, c'est le sexe de la personne qui en souffre. On ne comprend pas tellement non plus comment s'articule la fin de la saison 1 (dépression, résolution par la prise au corps de ses problèmes) a pu engendrer le début de la saison 2, ni comment il est maintenant pire qu'avant malgré son travail sur lui-même.


Un peu comme d'autres licences aux créateurs déçus (Joker, Fight Club), j'ai ouï-dire que Navo n'était pas content de la réception de la première saison. Certains se reconnaissaient dans "Je" sans démarrer directement une remise en question personnelle. Ils trouvaient simplement marrant de voir un peu d'eux dans ce personnage somme toute assez attachant dans son imperfection. La saison 2 transpire de "ALORS VOUS AVEZ COMPRIS LÀ ? VOUS ÊTES DES MERDES OK ?!" et probablement que cela peut atteindre son but pour ceux là. Pour moi, c'est bien trop bourrin et prémâché pour que j'en garde quelque chose. Ce n'est même pas le message le problème, Hadès a développé quasiment tous les thèmes de cette saison en mieux digérés et avec un handicap de taille : réussir à transposer ces questionnements de manière intelligente dans la mythologie grecque*.


Dernier point, l'absence totale du pan social de la série dégouline un peu partout. Il n'y a pas besoin de pousser jusqu'à faire un documentaire, mais tout ce qui concerne le sérieux est dilué soit dans des ellipses, soit dans des deus ex machina peu probables (l'achat de la boutique par le frère). Il y a enfin un petit parfum libéral dans cette apologie du travail-passion qui rend le tout peu crédible dans une France au bord de l'implosion sociale. On sent bien que tous les gens en dehors de la culturo-mondanité sont exclus de la fête et en cela, la série trahit là encore son fort penchant psychanalytique (introspection symbolique pour bourgeois masquant leur parasitisme social réel, c'est pas moi, c'est Freud pour le début et ses lecteurs marxistes pour la fin). En ce sens, cette série est bourgeoise dans l'explication qu'elle donne aux rapports entre les gens, surtout les couples, et exècre donc logiquement le rapport au corps. Tout y est affaire d'information, de symbolique. Le rapport de "Je" à la violence ne peut être interrogé que par son côté "problématique" et pas par sa sublimation, forcément, ce ne serait pas très correct. La réduction des rapports amoureux à une simple consommation devant être plus éthique traduit naturellement aussi ce penchant.


"Bref saison" 2 est une bonne série, imparfaite dans son propos mais absolument fabuleuse sur sa forme, malgré quelques lourdeurs dans l'explicitation formelle (les illustrations des concepts) et narrative (les redites pour appuyer les réalisations des personnages) ainsi que des limites très claires dans la portée qu'elle peut avoir. Oui, la mentalité bourgeoise est visible dans les rapports intimes contemporains mais non, le progressisme et féminisme ne constituent probablement pas une solution universelle. Une fuite en avant tout au mieux.


* Ces thématiques de critique de masculinités dégradées sont aussi déjà dans la saison 1 en plus subtiles : énergie 3000, le plan à trois, l'annonce de l'homosexualité du frère...

CharlesdeBatz
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il y a 4 jours

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