Hank Maudit ?
Il n'est pas évident d'écrire sur Californication tant la série suscite chez moi des sentiments contradictoires. Aussi, commençons peut-être par ce qui m'apparaît comme positif : -La série est...
le 27 juil. 2013
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Découverte récemment et sans attente particulière, ce qui m'a tout de suite accroché dans la série, et qui demeure à mes yeux sa principale qualité, c'est qu'elle se place de prime abord sous le signe de la littérature. Précisons : pas de n'importe quelle littérature, puisque Californication renvoie explicitement à l’œuvre de Bukowski, autant à travers son ancrage géographie (LA, Venice Beach en particulier) que par le ton, l'atmosphère, ainsi que pas mal d'allusions-hommages (à commencer par le nom du héros, Hank, qui également celui du narrateur/double de l'auteur dans la plupart des récits de Bukowski).
Sur ses sept saisons, le moins qu'on puisse dire est qu'elle est loin d'être parfaite, étant très inégale, versant tantôt dans un racolage facile, tantôt dans des poncifs sentimentaux très loin de ce qu'elle propose de mieux.
Mais avant de revenir là-dessus je voudrais d'abord proposer une lecture un peu plus globale de la série.
Il me semble que Californication tient presque entièrement sur une contradiction : le désir principal qui anime Hank consiste à retrouver sa femme et sa fille, et donc à reconstituer ce noyau même du conformisme et de l'équilibre social qu'est la cellule familiale. Bien sûr, la satisfaction de ce désir signifiant la fin de la série, suivant les principes de base de toute narration, il s'agit d'interposer un maximum de déboires entre le héros et son objectif. Ici commencent les aventures de Hank Moody et de son petit monde. Or, si ces péripéties nous plaisent c'est bel et bien parce qu'elles présentent un affranchissement salutaire des modèles institués, et en particulier de celui de la famille : cuites en série, sexe effréné, provocations sans limite, voilà le Hank qu'on aime, figure qui mêle pochtron sauvage et dandy arrogant, sachant tout sur tout, vivant comme il l'entend, envoyant paître tous conformismes et jugements moraux, bref : un anti-héros délectable, dont l'anarchisme patent, déchaîné, fait notre joie de spectateur.
Eh bien il me semble que ce paradoxe, entre d'une part le joyeux bordel de la vie de Hank telle qu'elle est, d'autre part l'harmonie plutôt conservatrice à laquelle il prétend, pourrait être bien mieux assimilé, exploité par la série, ce qui témoignerait d'une franchise et d'une lucidité qui, à mes yeux, lui fait défaut ; car il me paraît clair que si Hank retrouvait Karen, sans que dès lors aucun obstacle ne s'oppose plus à leur "bonheur", non seulement il n'y aurait plus d'histoire, mais surtout la vie de Hank en serait rendue morne, conventionnelle, loin de lui procurer la substance qu'en tant qu'artiste il ne peut que chercher. C'est là que les scénaristes esquivent le problème en posant cette équation douteuse : retrouver Karen = retrouver l'inspiration. On sait pourtant qu'Orphée ne serait pas Orphée s'il n'avait pas perdu Euridice…
En fin de compte, étant donné le parti pris de conclure la série sur un happy end (que l'on sent d'ailleurs venir de loin ; ou l'on sent tout au moins que d'une manière ou d'une autre le personnage de Hank se doit d'être gracié par les dieux, ce qui participe d'ailleurs de la tonalité enjouée de l'ensemble), la contradiction a pour effet de neutraliser quelque peu la charge corrosive de cette odyssée californienne. Le bol d'air et de liberté qui nous immerge au cours des pérégrinations de Hank, n'aura été qu'une parenthèse, un écart peu sérieux et sans grande conséquence, dans une quête qui ne mène, finalement, qu'à du fadasse american way of life…
(Petite digression qui va dans le même sens : un flash-back nous apprend que Karen est contre l'avortement : encore un affleurement du puritanisme au sein d'un récit qui, en apparence, s'y oppose en tout point…)
Mais à présent je me pose la question : peut-on envisager une série qui tiendrait seulement sur la dimension "rock'n'roll" de Hank, sans tomber dans la complaisance ou l'ennui ? Il est fort à parier que non, et que la cohabitation des deux polarités au cœur du même personnage confère son équilibre dramatique à l'histoire. Peut-être plus important encore : ce qui rend la série attachante à mes yeux, c'est qu'on y trouve quelque chose comme un sentiment de gratitude vis-à-vis de l'existence, une forme de joie qui bien souvent échappe aux personnages, mais qui n'en est pas moins accessible, et s'offre à eux de manière récurrente. La belle lumière californienne, la plage, les lumières d'Hollywood contemplées depuis Mulholand Drive et ses collines, mais aussi l'humour omniprésent et une certaine "bonté" des personnages, n'y sont pas pour rien.
De ce que j'appelle d'ailleurs bonté, j'aurais plusieurs choses à dire : certes il ne s'agit pas d'une charité superficielle ou d'une conformation à des valeurs établies par un dogme quelconque, mais bien de cette espèce de "bonté naturelle" qu'on retrouve chez les grands auteurs américains, de Whitman ou Thoreau jusqu'à la beat generation, et qui, pour ce qui est de la série, la rapprocherait d'Heny Miller peut-être plus que de Bukowski. Que j'étaye cette idée : Hank se comporte souvent comme un sale type, prétentieux, ordurier, irresponsable, et pourtant on le sait animé, plus fondamentalement, par une sorte de bienveillance, de générosité, par cette bonté naturelle, donc, qui fait que, malgré tout, le spectateur comme les autres personnages restent attachés à lui.
On peut prendre pour exemple sa relation avec sa fille, vis-à-vis de laquelle il finit toujours par dépasser ses impulsions premières pour arriver à plus de compréhension, à plus d'empathie. Ou encore avec Mia : car malgré toutes les calamités où celle-ci l'entraîne, il s'obstine à voir à elle une jeune fille un peu perdue et qui n'a pas mauvais fond.
D'ailleurs, le personnage de Mia montre bien que cette bonté ne se retrouve pas que dans le personnage principal, puisqu'elle-même, capable du pire, n'en demeure pas moins sympathique en dernier lieu. De même pour Lew Ashby, Richard Bates, Eddie Nero, Apocalypse Samurai, Stu Beggs, pour Charlie et Marcy bien sûr, ainsi que pour la quasi-totalité des personnages, qui ont tous leur forme de démence (généralement bien gratinée), mais qui n'en sont pas moins, en dernier lieu, des humains au grand cœur, "des gens biens".
C'est peut-être là aussi que Californication trouve son originalité : en ce qu'elle présente la folie de ses héros en termes extra-moraux et qu'on se réjouit de leur liberté sans que le contre-coup d'un regard condamnatoire ne vienne assombrir ou alourdir le tableau.
Au fond, Karen est peut-être le personnage le plus "lourd" de la série… Étant donné qu'elle demeure un personnage-pivot, comme un repère immuable dans le parcours de Hank, l'ambivalence de ses sentiments, exposée dès la première saison, finit par se figer en dialogues et attitudes redondantes, qui desservent à la longue le charme de l'actrice. Son importance dramatique devient une pure coordonnée dépourvue de teneur humaine, et les scènes entre elle et son ex-futur-éternel compagnon virent au simple artifice, à la pure mécanique ayant pour fonction d'articuler la suite des épisodes.
D'autres aspects de la série ont cette même tendance à se mécaniser, à suivre la recette : comme lorsque le héros se doit, trop systématiquement, de séduire la galerie et de ravir le genre féminin alors qu'il se comporte comme une brute stupide, comme si les scénaristes étaient trop paresseux pour justifier encore ce succès par un charme qu'il aurait fallut mettre-en-scène (ce qui eût nécessité des paroles adroites, des bons mots, une certaine élégance… bref, un effort d'écriture…)
Plus généralement, à partir de la deuxième saison (la première étant certainement la meilleure), il arrive bien souvent que les personnages se réduisent subitement à une mauvaise caricature d'eux-mêmes, alors même qu'on les avait vus ailleurs animés par une écriture vraiment intelligente, qui les rendait subtils, complexes, crédibles, humains. Il en va de même pour les situations dramatiques, parfois habilement amenées, parfois bien trop forcées, sonnant faux, réduites à leur seule exposition arbitraire.
Ce déséquilibre, ce contraste entre la qualité des divers épisodes, est sûrement très typique du format série, de la contrainte qu'il représente… Mais dans ce cas pourquoi sept saisons ?
Heureusement, comme par miracle, même dans les plus mauvaises saisons (il me semble que la troisième, et la sixième peut-être, m'ont parues spécialement fastidieuses), soudain la grâce rejaillit là où on ne l'attendait plus. Comme si le reste n'avait été qu'un mauvais remplissage, un support pour ce que la série peut nous offrir de mieux.
Et redéfinissons donc une bonne fois ce "mieux", qui fait que malgré tout Californication me laisse sur une impression largement positive : je ne vois pas vraiment de série qui soit autant que celle-ci stimulante, amorale (malgré les quelques réserves exprimées), tendre, intelligente et drôle ; c'est peut-être plus superficiel que Bukowski ou Henry Miller ; mais comme les œuvres de ces deux-là, Californication détient quelque chose de jouissif et de libératoire qui lui confère toute sa valeur.
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Créée
le 2 juil. 2016
Critique lue 789 fois
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