CARLOS, commence comme la plupart des films, tentant de se confronter à l'Histoire : on expose le contexte.
Paris, 1973, le 28 juin : explosion de Mohamed Boudia dans sa voiture. Les services secrets israéliens sont suspectés d'être les responsables de cet attentat sur le chef présumé de l'organisation terroriste pro-palestinienne "Septembre Noir".
Directement, on bascule au côté de Carlos, qui arrive à Beyrouth pour rencontrer Wadie Haddad chef du FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine).
Mise en scène punchy, bande son au diapason, qui sera de haut niveau tout au long des trois volets : Wire, New Order...Une sorte de parallèle entre les actes du terroriste et ces titres punk et new wave , eux aussi révolutionnaires dans le circuit de la culture pop.
C'est d'ailleurs ce que à quoi va s'atteler Assayas tout au fil de ces 5h30 , mettre en parallèle les exactions de Carlos et tout un pan de l'histoire du XX° siècle : la Guerre Froide, le conflit israélo-palestinien, la crise du pétrole...Le rendant palpable et explicite ainsi passer à travers le prisme impur de ce personnage haut en couleur.
On comprend bien l'enjeu. Ne surtout pas poser Carlos au centre du débat, même si paradoxalement le film tournera autour de lui. Mais par son entremise, par le biais de ses choix, de ses contradictions, en marchant sur ses pas en quelque sorte, donner à voir, à découvrir les contours du contexte dans lequel il évolua. Ce contexte sur lequel il voulut influer, et qui au final n'aura fait que se jouer de lui, comme on se joue d'un pion. Ce contexte qui vit le Vénézuélien Ilitch Ramirez Sanchez devenir Carlos, terroriste superstar internationaliste. En ce sens on comprend bien pour quelles raisons, le véritable Carlos, celui qui purge une peine à perpétuité en France, rejette en bloc ce film.
C'est la vraie réussite de ce (télé)film fleuve et polyglotte (on y parle plus de six ou sept langues) : ni un éloge ni un procès à charge. Sur ce point l'Histoire s'en charge d'elle-même.
Assayas parvient remarquablement à saisir les atermoiements de cet homme pris dans les mailles politico-idéologique de la réalité, coincé entre ses désirs, son idéal révolutionnaire et ma foi un égo pas piqué des vers. Face surtout à ses fautes et ses mensonges. Un imbroglio dont immanquablement il est difficile de s'extraire.
Ainsi se révèle Carlos, littéralement incarné par Edgar Ramirez, impressionnant de vérité (hormis cette façon de fumer des cigarettes, Carlos n'a jamais fumé que des cigares !) : très vite emprisonné et pourtant longtemps persuadé de son extrême liberté.
Pas évident pour un réalisateur de trouver la juste mesure, dans son propos et sa mise en scène, pour éviter toute stigmatisation, toute simplification et parvenir à rendre visible à quel point l'histoire de ce bonhomme n'est rien moins que l'inextricable paragraphe du déroulé incontrôlable du cours du Monde.
On sent qu'Assayas s'est longuement et efficacement documenté. Encore fallait-il pouvoir mettre tout ça dans le bon ordre...cinématographique, disons ! C'est là où le talent fait la différence . Une certaine classe stylistique et une intelligence technique qu'il peaufine depuis Demonlover. Une patte reconnaissable entre toutes.
Une faculté inouïe à rendre dynamique un sujet, qu'il soit politique, sociologique ou autre, très factuel comme ici ou plus abstrait, sans oublier d'en révéler la part psychologique et émotionnelle . Avec souvent en toile de fond, imprégné en filigrane, tout le cynisme de notre contemporanéité.
Effacer le plus possible les signes de compositions pour ne retenir que l'essentiel : des blancs, des regards incertains, des mouvements et des mots coulés dans la tension des évènements se déroulant sous nos yeux, qu'ils émanent du moule rigide du quotidien ou d'un brasier géopolitique indomptable. D'où le rôle capital de l'acteur Edgar Ramirez. C'est effectivement de ce visage, intense et expressif, dans la joie comme la violence ou la douleur, que tout semble partir. En totale harmonie avec la réalisation musclée et raffinée d'Assayas, il semble dans son élément. Le plaisir du spectateur s'en voit décuplé !
Finalement qu'il s'agisse du travail d'Assayas, de ses acteurs, ou de la vie de Carlos lui-même, de son rapport au siècle passé, tout n'est qu'affaire d'alchimie. Et de temps aussi surement. Pas évident, que le film, sorte de condensé de la série, ait le même impact. A voir.
En attendant,Carlos la série, est une opération réussie avec brio.