« Chernobyl » n’est pas un film catastrophe comme il en existe à la pelle. Ce n’est pas un divertissement calibré qui va vous procurer des sensations fortes. Ce n’est pas une fiction-documentaire qui va vous tenir la main et vous amener les choses de manière pédagogique. C’est une plongée dans l’horreur avec ce que cela implique en moyens et conséquences humaines, financiers, écologiques, politiques ou sanitaires. Incroyablement cinématographique, la série va droit au but tout en prenant le temps de mesurer l’impact de la catastrophe à différentes échelles. Les personnages, scientifiques, politiques, pompiers, mineurs, civils, militaires ou encore infirmiers constituent des tranches de vie prises sur le vif qui vont offrir autant de point de vue pertinents et poignants, se complétant ou se contredisant. L’Humanité vibre et vacille dans cet enfer terrestre.
La série, remarquable par sa capacité à adapter sa mise en scène selon les différentes étapes et évolutions de la catastrophe, dresse le portrait d’une nation à l’agonie. « Chernobyl » n’est pas tant la dénonciation d’une série d’incompétences que la décrépitude d’une Union Soviétique dont la grandeur n’est maintenue que par la propagande pathétique du gouvernement. Il n’a pas fallu attendre l’explosion pour observer la grande précarité dans laquelle vit la population. Entre les banlieues au bétonnage suffocant, les hôpitaux glauques et sans moyens et les appartements fissurés à la structure déprimante comme des cellules de prison, Prypiat est symptomatique de la misère. En cela, l’incident de « Chernobyl » n’est finalement que l’aboutissement d’une crise bien globale. Un environnent parfaitement mis en valeur par une esthétique à la fois réaliste et lumineuse, symbolisant la solitude de générations sacrifiées.
Comme un des protagonistes le dit si bien, « Chernobyl », c’est une guerre. Gérer la catastrophe va demander une gestion à l’échelle du bloc Est, voire à l’échelle mondiale. C’est dans cet aspect que la série se montre la plus affolante, notamment sur les sacrifices, avec des héros anonymes qui doivent obéir à des bureaucrates bornés, idiots ou simplement dépassés par les événements. Avec nervosité, la série constitue des scènes d’une rare intensité, comme les trois volontaires chargés de vider les réservoirs de la centrale. Caméra à l’épaule, la séquence s’emballe avec l’extinction des lampes électriques et la saturation des appareils à mesurer la radioactivité. Un authentique moment d’effroi, de désespoir et de cruauté qui résume à lui seul le ressenti que veut partager la série : affronter quelque chose que personne n’a jamais connu auparavant.
Qu’il y a-t-il de pire que les mensonges ? Combien coûtent-ils ? « Chernobyl », c’est aussi la recherche de la vérité. Le drame, la survie et le thriller politique se conjuguent avec l’espionnage et la reconstitution judiciaire pour enrichir considérablement une narration qui ne veut oublier aucun aspect de son sujet. Évidemment, la critique plonge au cœur du système soviétique avec son autoritarisme, sa corruption, sa manipulation médiatique et surtout son aveuglement. Ce dernier point donne d’ailleurs une approche contemporaine car la problématique écologique qui touche notre époque se reflète dans cette tragédie. La relation entre Valeri Legassov, directeur adjoint de l’Institut d’énergie atomique de Kourchatov, et Boris Chtcherbina, vice-président du Conseil des ministres et chef du Bureau des combustibles et de l’énergie, tous deux chargés de gérer la catastrophe de Tchernobyl, constitue un duo révélateur qui allie problème de communication, réveil des consciences et combat perdu d’avance.
Si la série fait bien cinq épisodes, elle est d’une richesse et d’un émoi juste extraordinaires. « Chernobyl » fait clairement partie des plus grandes série de l’Histoire de la télévision. Elle a clairement sa place parmi les quatre ou cinq premières. On peut parler éventuellement de chef-d’œuvre mais laissons le temps de la digérer et de la revoir. Aucune série actuelle ne m’a donné l’impression de vivre un film en série et pourtant cet argument à été utilisé de nombreuses fois par le passé. C’est une œuvre qui n’a pas que le souci d’apprendre mais surtout de faire ressentir, de bousculer, de choquer, de prendre aux tripes pour se demander finalement, avec amertume et peur, si l’Histoire se répétera un jour ?