Que cela soit volontaire ou non, Bernard Pruvost est plus drôle que Kev Adams, Alex Lutz, Camille Chamoux ou une énième starlette de la scène stand up qui va pérorer sur ses problèmes de tampons ou sur son attirance sexuelle non réciproque pour son N+1.
Il est drôle à chaque seconde. Même quand il ne fait rien. Il est drôle quand il répète ad nauseam "oh le code de la route là Carpentier, c'est quoi ce bordel ? et la gendarmerie alors !", il est drôle quand il est confronté à une ado transgenre et qu'il affirme "qu'on y voit que du feu Carpentier" ou encore quand il échange avec un membre de la police scientifique encore plus imbitable que lui "oh il est en boucle là Carpentier". Il est souvent question de Carpentier c'est vrai, un véritable Sancho Panza pour l'inspecteur Van der Weyden et une béquille pour l'acteur qui martèle le nom de son collègue à chaque réplique.
C'est un rire d'usure, nerveux, mais un rire efficace. Car le pouvoir comique est un phénomène d'une injustice totale. Il est inégalement partagé, et il frappe parfois des gens qui n'ont rien demandé. Il peut être le résultat d'une technique travaillée à l'extrême pendant des années ou être provoqué par une tête marrante, une voix de merde, par un défaut de prononciation ou une écriture qui prend en compte tous ces éléments. Bourvil, Fernandel, Jacques Tati, Bernard Menez, Louis De Funes, Buster Keaton, Michel Galabru, les Marx Brothers, Paul Préboist, Marty Feldman... et j'en passe, ont pratiqué la comédie en proposant une qualité de rire variable, mais reposant souvent sur une simple attitude ou sur un aspect purement sensoriel.
Et l'alchimie bizarroïde entre Bernard Pruvost, Philippe Jore est bien palpable, même si cela les dépasse. Dumont sait pour eux. Et c'est vrai qu'il y a un ptit côté Jacques Bouillon dans ce procédé de mise en scène. Est-ce que le rire justifie les moyens ? J'ai tendance à dire oui. Une mimique de Pruvost vaut-elle moins qu'un calembour d'un ancien pensionnaire d'une école de commerce reconverti dans "l'humour professionnel" ? Je ne pense pas.
Les dialogues très peu professionnels entre les deux donnent l'impression d'assister à une adaptation d'X-Files menée par les Deschiens ou des sujets de l'émission Striptease. Etant fan de la troupe de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff, je ne suis pas le moins du monde décontenancé par les nombreux dialogues de sourds et la difficile avancée de l'enquête qui taille sa route droit dans les fraises.
Là où un Bresson ne parvient qu'à provoquer l'ennui et même l’agacement avec sa haine tenace des acteurs, Dumont démontre à l'inverse un réel attachement pour ce duo d'inspecteurs qui n'est pas sans rappeler un autre binôme farfelu : Bougret et Charolles dans les rubrique-à-brac de Marcel Gotlib. Ces acteurs n'auraient jamais eu l'opportunité de faire rire sans la volonté du réalisateur de mettre en scène un cartoon de Tex Avery en pleine Côte d'Opale.
Dumont a donc parfaitement cerné le potentiel comique de ses interprètes, quitte parfois à se reposer un peu trop dessus et à négliger l'intrigue.
Le commissaire et les extraterrestres
Et pour le coup cette série est un OVNI. Je conçois que certains sentent une gène devant ces acteurs non professionnels et éprouvent une forme de compassion pour ces gens qui peinent à sortir leur texte correctement. Ils suspectent certainement une sorte de moquerie ou d'utilisation cynique de la part du réalisateur. C'est mal connaitre le travail d'un homme viscéralement attaché à sa région, à sa langue et à ses personnages lunaires.
Toute son oeuvre tourne autour d'eux. Il ne mène pas ce projet pour se foutre de leur gueule ou par opportunisme comme Danny Boon quand il sort la ch'tite famille en écho à son plus grand succès. La production audiovisuelle de 2018 est trop cadrée, et emploie toujours les mêmes acteurs. Des séries qui rabâchent toujours les mêmes histoires ineptes autour de familles recomposées ou de voisins grincheux.
Voir de nouvelles gueules, avec des voix différentes et des jeux nanardesques constitue une bouffée d'air frais. Et ce même si Dumont dépasse par moment certaines limites - les prêtres sont douloureux à observer, c'est indéniable. En terme de bizarrerie on est pas loin d'Aki Kaurismaki.
Pourtant cette liberté n'est pas suffisante pour fermer les yeux devant les défauts criants de cette seconde saison du Ptit Quinquin. Des défauts déjà présents dans la première saison, qui sont accentués par le thème SF des Z'inhumains. La volonté d'effleurer des sujets sérieux (l'extrême droite, les migrants, la pédophilie, l'homosexualité, la théorie du genre...) dans ce cadre loufoque créait un énorme déséquilibre. D'autant qu'il se contente de les poser là, en fond et ne les fait pas évoluer.
On peut enfin déplorer une nouvelle fois l'absence de fin écrite. La série se conclue sur une scène qui fait passer le final de The O.A pour un modèle de sobriété. Dumont aime tellement ces acteurs et les dialogues qu'il leur donne, qu'il semble avoir négligé tout le reste.
Comme si le simple fait d'imaginer Van der Weyden aux prises avec des envahisseurs qui chient partout suffisait à son bonheur. Au final, les 4 épisodes sont assez faibles pour cette raison, car l'intérêt de la série repose uniquement sur le pouvoir comique et bancal de cette troupe amateur.
Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il passe à côté de quelque chose de grand.