Dès les années 1970, la japanimation nous dévoilait ses premières gemmes et Mirai shounen Conan (Conan, le fils du futur en français) se trouve être l'une de ses plus brillantes de sa génération. Sans surprise, elle nous vient de l'une des plus illustres figures de l'industrie : Hayao Miyazaki.
Encore un texte élogieux sur Miyazaki ? On repassera pour l'originalité mais je suis ravi d'explorer davantage un pan de carrière moins connu du cinéaste : son travail sur les séries. J'avais déjà eu l'occasion de citer le personnage pour ses contributions sur Taiyou no Ouji (Hols) en 1968, Heidi en 1974 ou encore Haha wo Tazunete Sanzenri en 1976 (Marco) mais il avait contribué à bien d'autres projets, comme les Moomins (1969-1970). Dès le milieu de la décennie, Miyazaki avait développé un beau portfolio, un style propre, en particulier durant la première série Lupin III (1971-1972), ainsi qu'une excellente réputation parmi différents studios. Le bonhomme souhaitait à présent voler de ses propres ailes au lieu de rester cloisonné à son poste habituel auprès de son partenaire de longue date Isao Takahata.
C'est en 1977 qu'une opportunité va se présenter pour lui, qui se concrétisera l'année suivante avec le projet Mirai Shounen Conan, une série de 26 épisodes produite par le studio Nippon Animation, ainsi que Oh! Production.
Si on parle généralement de cet anime comme le bébé de Miyazaki, il faut préciser que cela reste l'adaptation, très libre certes, du livre 'Incredible Tide' (Westminster Press, 1970) de Alexander Key. L'oeuvre raconte comment l'humanité a failli disparaître après la Troisième Guerre mondiale, suite aux destructions et à une montée incroyable des eaux qui a englouti la quasi totalité des terres immergées. Conan, un garçon qui vit seul avec son 'grand-père' sur un îlot, va un jour secourir une jeune fille échouée : Lana. Il s'avère rapidement que cette dernière est poursuivie par une des rares communautés survivantes, appelée Industria. Conan va devoir affronter bien des dangers pour protéger Lana, qui est la clé vers la technologie futuriste puissante, et potentiellement dévastatrice, de l'énergie solaire.
Cela sonne comme du Miyazaki n'est-ce pas ? Difficile de ne pas penser à du Nausicaä ou du Laputa en lisant ce résumé. A vrai dire, tout initié d'animes ne pourra s'empêcher de remarquer les influences disséminées dans Mirai Shounen Conan , qu'elles soient antérieures (Hols, Marco, même Lupin en terme d'animations) ou futures, très présentes autour de cette série. Dès les premières séquences, nous pouvons ressentir clairement le style de Miyazaki : dans ses thématiques écologiques ou son amour pour le 'communautarisme' pastoral (incarné par une autre île habitée, 'High Harbor'). On retrouve aussi un style narratif assez familier, où le héros va être secoué dans un tourbillon d'événements et de dangers dont il va devoir s'affranchir par l'héroïsme, tout en improvisation et courage.
Cependant c'est visuellement que la patte du maître, que je connais pourtant si bien, m'a le plus marqué. On la retrouve en abondance dans l'apparence des personnages et leurs mimiques expressives, dans la mise en scène brillamment pensée et le soucis du détail qui dynamise les nombreuses scènes d'actions, ou encore dans le design si typique des différents engins mécaniques. Mais surtout, il y a une énergie qu'on ne voit pour ainsi dire nul part ailleurs (hors long-métrage, et encore) à cette époque : ce n'est pas seulement animé, c'est vivant.
Evidemment, je ne manquerai pas de souligner tous les nombreux talents qui ont travaillé sur la série. On retrouve les membres habituels, comme le mentor Yasuo Otsuka qui sera à la direction de l'animation (avant de quitter pour préparer un nouveau projet Lupin, le futur Château de Cagliostro), ou bien Takahata qui viendra épauler Miyazaki et réalisera pour lui quelques épisodes, ou encore d'autres noms bien connus comme Yasuji Mori, Yoshiyuki Tomino, Noboru Ishiguro, Yoshiaki Kawajiri... En outre, Mirai Shounen Conan marque le début de belles collaborations, comme celle de Kazuhide Tomonaga (Le Châteaude Cagliostro), le directeur artistique Nizo Yamamoto qu'on retrouvera pour de nombreuses oeuvres Ghibli (entre autres), et surtout Yoshifumi Kondo (co-fondateur de Ghibli).
Que de talents au service d'un projet soigné, autant visuellement que dans sa dimension narrative. Mirai Shounen Conan est une grande aventure pleine de rebondissements, de scènes intenses, et surtout bien rythmée. On ne s'ennuie quasiment jamais et comme on en voit de plus en plus à cette époque, la série veut transmettre quelque chose au spectateur, offrir autre chose qu'un tue-temps divertissant hebdomadaire, à travers une histoire cohérente, un univers construit et un message.
C'est une couche de raffinement que l'on retrouve chez certains personnages, comme Monsley (une Kushana avant l'heure) ou encore Dyce (quand même bien louche lui), qui nous montrent des facettes nuancées de leur personnalité à travers les épisodes. Ce n'est pas le cas de tout le monde, comme avec Jimsy, le fidèle compagnon basique, ou Lana, qui bien qu'à la proue de belles scènes, se trouve dans un rôle simple, très passif, la plupart du temps. Quant à Conan, notre protagoniste n'est pas une lumière mais reste fort sympathique. A vrai dire, il m'a bizarrement beaucoup, mais alors beaucoup beaucoup, fait penser au jeune Son Goku : son coeur pur, sa force surhumaine, ses amitiés trouvées auprès de rivaux, et bien sûr son courage.
Ce dernier encapsule le caractère un peu simplet, ainsi qu'un optimisme un peu enfantin qui règne dans la grande majorité de l'oeuvre. On pourra peut-être reprocher un certain manque de gravité qui en résulte, le triomphe invraisemblable de solutions simples face à des situations compliquées.
Si la maturation de la carrière de Miyazaki l'amènera à créer des oeuvres plus abouties et exceptionnelles, cela n'empêche pas Mirai Shounen Conan d'être une oeuvre fantastique. Un quasi chef-d'oeuvre, le premier dans la japanimation moderne, en ce qui me concerne.