Il existe des oeuvres qu'il est assez vain de critiquer car tout le monde est d'accord pour en clamer les mérites. Il en existe d'autres qui changent totalement votre perception d'un format donné. Cowboy Bebop, l'aventure spatiale de Shinichiro Watanabe, fait partie de ces deux catégories.
En 2071, Spike Spiegel et Jet Black, chasseurs de pimes grandes gueules et bras cassés, sillonnent le système solaire à bord de leur vaisseau, le Bebop, à la recherche de criminels. A travers leur périple, qui nous dévoilera le passé caché et hors du commun des personnages, ils feront la connaissance d'un chien "data" nommé Ein, d'une joueuse sur endettée et amnésique, Faye Valentine, et enfin Ed, une jeune hacker survoltée.
Avec un tel scénario, dur de se faire à l'idée qu'on a là un chef d'oeuvre de l'animation japonaise. Et pourtant, derrière ses airs simplistes se cache un véritable drame mettant en scène des personnages charismatiques qui gagneront en épaisseur tout au long de la série. Peu à peu, la série quittera la monotonie de la chasse à la prime pour s'attacher aux personnages et leurs personnalités tourmentées. Ainsi, Spike sera rattrapé par son passé mafieux pendant que Jet se confrontera à d'anciens coéquipier lorsqu'il était dans l'ISSP, la police du système solaire. Quant à Faye, la recherche de ses souvenirs perdus ne se fera pas sans douleur et sans surprise.
L'une des grandes forces de la série a été de créer un univers cohérent et vivant : que ce soit sur les villes corrompues de Mars ou dans les nombreux vaisseaux, à deux doigts de la panne fatale, les personnages y ont une histoire et, dans un élan romanesque, continuent à vivre lorsque le spectateur a les yeux tournés. Trois vieillards parlent avec nostalgie de leur jeunesse sur Terre, les villes sont remplies de misérables clochards ou de marchands/arnaqueurs ambulants et les alentours de la villes sont gardés par de gigantesques publicités... Bref un univers qui se révèle être sombre (mais non dénué d'humour), complexe, maîtrisé et recherché.
L'autre grande qualité de Cowboy Bebop, comme son nom l'indique, est le mélange des genres. En plus du travail évident sur le western (principalement italien, comme l'indiquent les plans sur les yeux, relents de Sergio Leone) et sur la science fiction (2001 : A Space Odyssey), la série aborde une multitude d'autres thèmes tels que la mafia, les arts martiaux (période Bruce Lee), le trafic de drogue (les cartels mexicains), la culture chinoise (les Chinatowns), le film noir (à la Bogart), la blaxploitation, le fantastique, le film d'horreur (Alien) et même Pierrot le Fou de Jean Luc Godard (qui donne son nom à un épisode)... La cinéphilie de Watanabe se fait d'ailleurs ressentir par sa réalisation, magistrale pour une série d'animation : flou, jeu de lumière, tremblement, plan séquence ou montage rythmé, vue subjective, plongé et contre-plongée.... Cowboy Bebop fait la part belle à une réalisation cinématographique de haute qualité.
L'image ultra travaillée de la série (personnages et véhicules racés, environnement détaillé, animation réussie) ne serait rien sans une bande sonore du même niveau. Or, l'intelligence du réalisateur a été de s'entourer d'une grande compositrice qui offre là tout simplement la perfection. A l'image des multiples références cinématographiques, la bande originale brase tous les genres musicaux : du jazz, genre de prédilection de la série, au hard rock, en passant par la pop, les ballades rock et le blues, Yoko Kanno et son "groupe", The Seatbelts, semblent avoir un don particulier pour n'importe quel style. Et, chose rare, les albums sont si somptueux que l'on se surprend à les écouter pour la 10ème fois.
Louons enfin les doubleurs qui, que ce soit en version originale ou en version française (avec ces derniers, malgré tout, un petit moment d'adaptation), maîtrisent leur sujet et jouent un rôle certain dans la personnalité des personnages.
La série a connu une "suite" au cinéma, très réussie mais souffrant d'un petit manque de rythme, à travers le long métrage Knockin' on Heaven's Door, dont le titre est déjà témoin d'une certaine influence, et des rumeurs ont longtemps couru sur une adaptation "live" avec Keanu Reeves dans le rôle de Spike (sic).