Open Wide and Swallow the Meaning of Life

Si on m'avait dit, il y a deux mois de ça, que j'aurais encore l'occasion d'écrire "c'est un sans faute" au sujet d'une série d'animation japonaise, j'aurais hésité entre le rire gras et le "tchhhh !" à la Genjyo Sanzo (avec le coup d'éventail qui va bien sur la tête de mon interlocuteur).

Car alors que la créativité nippone suit les traces de sa grande soeur américaine, plaçant le dieu pognon au centre de toutes les préoccupations et lui collant un costume de soubrette, il paraissait improbable qu'une oeuvre intimiste comme Death Parade puisse se tailler une place sur la grille saturée des programmes TV.

Pourtant.

Pourtant elle est là et bien là, forte (et fière) de ses douze petits épisodes ciselés jusqu'à la dernière seconde, à prendre les attentes du spectateur moderne à rebrousse-poil en refusant de basculer dans le genre honteux du survival game, dont elle détourne tous les poncifs avec une subtilité rare.

En effet, alors qu'on aurait pu croire à un énième jeu de massacre dont le public est si friand, avec son lot d'épreuves sadiques, de lycéens névrosés, de séquences gore et de petites culottes (sans oublier les choeurs dans la musique et le rap gothique en introduction), la série trace sa voie à l'opposé et déplace ses enjeux pour mieux servir le projet de l'auteur : proposer une oeuvre qui traiterait de la Vie avec un grand V, dans tous ses aspects, du plus sombre au plus lumineux, sans tomber ni dans l'optimisme béat, ni dans le cynisme de forum.

Rien d'appuyé ni d'ostentatoire, ici. On ne vous tirera pas de larmes en sortant les violons ou en chargeant la mule ; pas plus qu'on ne vous tirera de rires à coups de quiproquos ecchi. On ne mutilera pas, on ne martèlera pas, on n'enverra pas les persos secondaires à l'abattoir juste pour qu'une bande d'ado boutonneux ait sa dose hebdomadaire d'hémoglobine. Qu'ils soient grands ou petits, admirables ou mesquins, tous seront traités avec la même équité. Mieux : la même humanité. Afin que le pire n'en fasse jamais oublier le meilleur, et qu'à l'instar de son protagoniste, la série soit juste avec chacun d'eux.

Les amateurs de grosse émotion qui tâche seront inspirés d'aller voir ailleurs si la tartine de sentiment retombe toujours du côté de la couenne. Cette série fait dans la maturité, la vraie, pas celle qui se colle des étiquettes "18+" pour se donner un genre... Elle n'éprouve pas le besoin de faire dans le démonstratif ou la caricature pour asseoir son propos.

Comme Un-Go avant elle, dont elle partage le rythme, le style, le sens de la formule, rien n'y est servi sur un plateau. Tout se joue en non-dits, en implicite et en silences. Le mode d'emploi, il se trouve dans le coeur du spectateur - pour peu qu'il en ait un. A lui de gratter la surface et d'aller chercher au-delà le sens et la raison de cet essai quasi-philosophique, plus profond et infiniment moins manichéen qu'on ne pourrait le croire de prime abord.

Ajoutons au tableau un chara-design réussi, moderne juste ce qu'il faut mais sans vulgarité (très inspiré par la mouvance vocaloïd), un jeu de couleurs et de clair-obscur parfaitement contrasté, une bande sonore feutrée, en parfaite adéquation avec la mise en scène - qu'elle met joliment en valeur. Avec, pour ne rien gâcher, un générique de début décalé, absolument ju-bi-la-toire.

Ne manque qu'une petite dizaine d'épisodes pour permettre aux seconds couteaux de respirer un peu et installer une dynamique dans la durée, sans qu'on songe pourtant à s'en plaindre tant il est déjà miraculeux que cette première oeuvre ait bénéficié d'une demi-saison pour prendre ses aises.

Pas de quoi bouder son plaisir. L'ensemble forme un tout d'une belle cohérence.
Le reste, on se l'imaginera sans peine.

C'est aussi ça, la vie.