Désenchantée
6.3
Désenchantée

Dessin animé (cartoons) Netflix (2018)

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C'est une série hyper violente sur le spleen, la frustration et la solitude.
Elle n'avance pas : on sent le bagage dans la sitcom épique type "On efface tout et on recommence" du créateur des Simpsons. Mais si vous savez, cette série ou les guerres se déclenchent juste pour la beauté d'un gag et n'atteignent jamais les américains qui rentrent chez eux tranquillement. Et où tout fini par des chansons.
Désenchantée prend la suite de ce style (bien que j'ai vu pleins d'épisodes, je ne comparerai pas à Futurama que je retrouve moins dans cette série) et le confronte à un autre monde : celui de 2018 (date de sortie de la première saison) ou la série est impératrice du divertissement mondial et que Netflix trône sur ce nouveau monde. Maintenant, il y a des cliffhangers et de la continuité dans l'évolution des personnages. Mais à la fin, c'est le quotidien qui gagne : oui, on est pris au dépourvu, on découvre un univers tout nouveau rutilant à quelques jours de galop de Dreamland, on finit la saison sur un souffle retenu. Et ça ne rate pas : le soufflet retombe (dès l'épisode 2 de la saison 1 en fait), on rentre à la maison parce qu'on est violemment paumé par les machinations, déçu par les pulsions pitoyables des princes pas si charmants. C'est la mécanique Simpsons, mais sans l'illusion que tout prend fin (pour le meilleur). Votre nom, votre gueule (le visage est un vrai sujet dans Désenchantée), votre entourage, même si vous avez adoré vous le constituer mais qu'aujourd'hui il traîne un peu là sans que vous vous l'expliquiez : non, ça ne disparaît pas ces choses là. C'est littéralement à suivre.
Quelque part, l'univers loufoque de Matt Groening cesse de nier l'époque, et ce qui était un code narratif de série (l'éternel recommencement que permet un univers absurde) devient un constat amer sur notre incapacité à nous affirmer. Maintenant que les séries font parties intégrantes de nos vies et de notre manière de nous représenter, il faut qu'on accepte aussi ses mensonges : Bojack Horseman avait commencé la thérapie en désacralisant le succès, Désenchantée continue la psychanalyse en nous rappelant que son héroïne, la revêche et rêveuse Bean, est bien plus vivante que nous parce qu'elle ose l'aventure et s'y brûle les ailes tandis qu'on est affalé à la regarder faire, à peine plus intelligent que les badauds de son bled. Désenchantée, donc vivante, pendant que nous, les enchantés, les ravis, les bienheureux, on binge watch et on attend notre dose de fun en barre, on attend que ça nous satisfasse et que ça aille quelque parts, ces conneries. Bean est malheureusement trop humaine : elle flâne, elle essaie de s'accoutumer à ce qu'elle découvre. Elle ose être déçue aussi : le monde, oui, il est beau, mais ça c'est avant d'en découvrir les habitants, des gens terriblement banals. Un protagoniste déçu ou qui s'habitue, qui n'est pas esclave d'une écriture qui s'oriente vers notre plaisir, qui cherche la paix et donc l'inverse de l'action, c'est l'ennemi du spectateur de série d'aujourd'hui, qui veut sentir que son temps est dûment investi. Le rythme retombe parce que Bean ne se confronte pas au monde comme à une tragédie à laquelle résister : les hommes toxiques, les ambiguïtés sexuelles, les tensions politiques, elle n'en fait pas tout un théâtre, elle ne se traite pas comme l'héroïne. Bean est d'une générosité immense, et elle a bien le caractère d'une reine : elle a de la volonté, elle ne se laisse pas faire tout en se décentrant, en éloignant les spotlights d'elle pour que chacun se réserve de la place et du temps. Pour que tout ceux qui étaient là le jour ou l'aventure est arrivée puissent se créer des souvenirs à partir de ces journées de dingue qu'on traverse tous. Bean est polie, comme plus personne ne l'est.
Il y a quelque chose de fondamentalement netflixien dans ce show, dans cet appel à se bouger le train et à s'extirper du vide existentiel du catalogue et du scrolling. C'est marrant deux seconde de citer une marque et de faire une blague sur un célèbre site de SVOD, mais Désenchantée a la noblesse, plutôt que de commenter lourdement notre époque, de se tirer vite et loin pour nous inciter à en faire autant (une série qui croit encore aux vertus du divertissement, ça fait beaucoup de bien). Et quand Bean rentre chez elle, cassée à chaque mésaventure, elle retrouve la maison qu'elle a abandonnée se déliter lentement dans le vice et l'obscurantisme. Plus on fuit, moins on se prépare à en affronter les conséquences. Vous ne comprenez pas ? Plus vous regarderez cette série, plus vous empêcherez Bean de passer à autre chose. Sortez, partez en quête d'un trésor, d'un elfe et d'un prince et rentrez chez vous déçu, plutôt que de demander à quelqu'un de le faire pour vous. Déçu, vous le serez, mais vous aurez vécu et vous donnerez un sens à ce qui vous entoure. Là, écrasé sur votre canap', vous ne vivez pas ces douleurs, vous les interceptez ; vous en saisissez le mal sans vous offrir la possibilité d'être meilleur. La vérité, c'est que ça ne finit pas, ou alors ça finit par des désenchansons. Bean, elle accepte être fille de (son père, son pays, ses fragiles convictions...) et endosse le rôle, parce qu'on n'est rien de mieux que soi même. Cette série nous apprend à consommer notre déception, à ne pas se culpabiliser à cause d'elle et à rester à l'écoute du vivant, de cette force qui traverse les êtres, qui les rendent si attachants de bêtises. C'est bien sûr une image quand je dis que vous devez cesser de la regarder : au fond, on va bien aller au bout de cette histoire de fou, maintenant qu'on a embarqué. Et Désenchantée de saisir le cœur de l'attachement sur le long terme, celui qui fait d'une série une série et non pas un film sous budgété de 10h : une bonne série provoque l'empathie, même pour des crétins plutôt que l'adoration des génies.
On espère un ailleurs, un voyage et on rentre à la maison, brisé par les désillusions, mais comme papa craque et que nos amis nous collent au basques sans qu'on ne sache plus trop pourquoi d'ailleurs (et c'est une violence que doit guérir Bean au terme de la saison 3, la dernière en date à l'heure ou j'écris : dépassée par les évènements, elle a oublié la beauté rare de l'amitié véritable), alors on se prend en main et on assume. Faudra bien grandir.


Vous pouvez maintenant relire cette critique avec la voix d'un personnage de cartoon qui vous inspire.

JeVendsDuSavon
10
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le 10 mars 2021

Critique lue 144 fois

JeVendsDuSavon

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