(Critique aussi postée sur mon Instagram @gwladyskantfail)
La semaine dernière Dietland m’a été chaudement recommandée par plusieurs d’entre vous, donc je l’ai regardée ce week-end et je dois admettre que non seulement j’ai aimé mais en plus elle m’a bien fait cogiter.
Ca va être long. Si tu préfères le format blog, je vais aussi poster cette critique sur Senscritique, lien dans ma bio.
Je vais passer tout de suite sur les principaux défauts, longuement pointés ailleurs de cette série, qui est loin d’être parfaite :
- manque cruel de moyens (ouch les yeux les incrustations et bof bof certains décors)
- remaniement du script du livre pour ouvrir sur une possible saison 2 (qui n’aura jamais lieu) ce qui déstabilise le récit dans la dernière partie de la série. Une minisérie un peu plus longue mais avec des arcs narratifs complétés aurait bien mieux rendu justice aux ambitions de la réalisatrice et de l’autrice.
MAIS c’est vraiment une série sur laquelle il faut s’attarder, parce qu’elle est réellement unique en son genre. MASSIVE SPOILERS INCOMING, vous êtes prévenues.
Dietland est basée sur le livre du même titre, écrit par Sarai Walker, elle-même femme grosse (c’est le mot qu’elle et d’autres activistes de la fat-acceptance emploient).
Sarai Walker est partie d’une question pour écrire son roman : Pourquoi déteste-t-on les femmes grosses ? Elle raconte que le processus d’écriture de Dietland a été assez violent pour elle, puisqu’elle s’engageait dans un rabbit hole, une quête initiatique souvent déprimante, révoltante, brutale.
Cette mise en scène de sa propre introspection et analyse livre d’abord une présentation authentique de la haine de soi que peut ressentir une femme grosse dans la société actuelle. Et ensuite, comment le féminisme l’a amenée à se révolter : « Les femmes ont tendance à retourner leur colère contre elles-mêmes, à la transformer en haine de soi ».
Dietland détricote bien ce processus : Au départ, Plum l’héroÏne s’isole au maximum du monde parce qu’elle estime qu’elle ne peut pas y être acceptée et aimée telle qu’elle est. Son objectif est de se payer l’opération du bypass intestinal pour enfin maigrir et découvrir son « moi mince » que lui fait miroiter la meuf de Weight Watchers. Elle en est certaine : elle ne pourra pas vivre, vraiment vivre, tant qu’elle ne sera pas mince.
Plum est très intelligente, a bien connaissance des thèmes féministes actuels et a bien conscience que ce sont des diktats de beauté complètement injustes. Mais quand sa mère ou d’autres lui disent de simplement « s’accepter comme elle est », ça nourrit juste sa colère. Qui se retransforme en haine de soi en mode « Pourquoi ne puis-je pas m’accepter ainsi ? Je suis faible de ne pas pouvoir être « body positive » avec mon poids ». Quand on lui dit que ce sont les autres qui sont méchants et que c’est ça qu’il faut changer, elle les renvoie chier : « Ça nécessiterait une révolution ». Les intentions sont bonnes peut-être, mais ça n’aide pas Plum. Pour arrêter d’être aussi malheureuse, la seule solution concrète qui existe pour elle, c’est la minceur, c’est l’opération bypass, même si elle peut potentiellement en mourir.
Et j’aimerais dire : « Jusqu’à ce qu’elle rencontre les féministes et là pouf ! sa vie change du jour au lendemain ». Mais c’est plus compliqué que ça, et la série le montre très bien. La féministe qui veut l’aider, Verena, une femme riche et mince, ne sait pas ce que vit Plum. Elle peut l’imaginer mais elle ne sait pas la violence à laquelle elle est exposée quotidiennement en tant que femme grosse. Lorsque Verena propose 20 000 dollars à Plum si celle-ci accepte d’effectuer certaines tâches qu’elles et ses amies ont imaginé pour réaliser une véritable prise de conscience féministe, Plum comprend très bien ce qui passe et résiste jusqu’à la toute dernière épreuve. A ce moment-là, la violence misogyne, perpétrée par quelques femmes mais surtout par les hommes, est insupportable. Elle se réfugie dans la maison de Verena, Calliope House, un sanctuaire pour femmes victimes des violences masculines.
Et alors qu’elle se morfond et encaisse tout ce qu’elle vient de subir, elle découvre une « œuvre » laissée par une pensionnaire précédente : une pièce consacrée à la redif du top 10 des vidéos porno actuellement matées sur Pornhub. Dans cette pièce, elle rejoint Sanaa, une femme dont la moitié du visage a été brûlé à l’acide par son père, et qui regarde tranquillement des vidéos ultraviolentes de rape porn. Lorsque Plum, outrée, lui demande pourquoi elle s’inflige ça, Sana lui répond : « Les femmes que tu vois ne nous ressemblent pas du tout, elles sont parfaites. Et leurs vies sont merdiques. »
La colère de Plum éclate enfin : elle ne peut plus être contenue dans la jusque-là infatigable machine à haine de soi. Ça déborde. Plum envoie tout valser, prend la parole, hurle sa colère. Maintenant elle est prête à faire la révolution, parce que c’est aux autres de changer leurs regard malsains qui la condamne, pas à elle de s’attaquer à son corps SAIN.
C’est assez incroyable parce que je pense n’avoir jamais vu dans une série un peu mainstream une critique du porno, encore moins dans les séries dites « féministes » qui arrivent toujours à placer un : « mAiS lE PorNO FEMinistEEeee ». Dietland ne tergiverse pas quand il s’agit de désigner, nommer et condamner les violences masculines, toutes les violences masculines. Rien que pour ça, Dietland a beaucoup de valeur à mes yeux.
Avec ce moment dans la maison de femmes, Dietland souligne aussi l’importance de lieux féministes entre femmes, où l’on peut être en sécurité pour digérer la colère et les autres émotions violentes qui nous ébranlent lors de la prise de conscience féministe.
Encore une chose qui a beaucoup de valeur pour moi et qui n’est pas représenté ailleurs : la représentation des montagnes russes émotionnelles qui accompagnent cette prise de conscience. Trop souvent l’éveil féministe est représenté comme empowering, trop cool, girl power etc. Ou encore, elles chialent un bon coup et repartent le poing levé. Mais c’est vraiment réducteur : Plum est d’abord accablée et vulnérable, puis en colère et révoltée. Heureuse et exaltée lorsqu’elle s’adresse à des jeunes filles et que son message passe, qu’elles l’admirent. Puis elle redescend brutalement quand le groupe féministe qui l’a accueillie la critique pour avoir dévoilé leur projet et possiblement mis en danger certaines des femmes. A nouveau vulnérable et isolée, elle cherche du réconfort auprès d’un creep qui la viole. C’est à ce moment-là qu’elle se « radicalise » et rejoint le groupe d’action féministe-terroriste Jennifer, qui tue des violeurs en toile de fond depuis le 1er épisode.
Dietland est précieuse parce qu’elle représente l’expérience de la prise de conscience féministe et montre bien que ce n’est pas la même chose que d’avoir connaissance des revendications ou des analyses féministes. Cette prise de conscience passe par le corps, parce que c’est par là l’oppression passe. Et c’est ce corps que Plum combattait avant qui va la transformer : d’abord à travers ces émotions fortes, puis dans l’action militante. Son corps n’est plus un adversaire puisqu’elle désormais elle EST son corps.
Dietland souligne aussi les difficultés du milieu féministe, comment il peut être difficile de s’adapter à ce monde « codé » et de trouver les féministes avec lesquelles on se sent le plus à l’aise. Plum reproche au groupe féministe qui l’a accueillie de se policer entre elles, elle a l’impression de devoir faire attention à tout ce qu’elle dit. Elle a peur d’être rejetée parce qu’elle ne maîtrise pas ces codes. C’est ce qu’on nomme l’exigence de pureté militante, et c’est un vrai problème. Elle pose aussi la question de la légitimité qu’on peut ressentir quand on est nouvelles dans le féminisme, soit à cause de ces codes ou parce qu’on a l’impression qu’on n’en sait pas assez sur le sujet. Alors que ce qui compte vraiment, c’est de commencer : à militer, à rencontrer d’autres féministes, à tester de nouvelles manières de faire, à réfléchir.
Les difficultés de la sororité aussi : Verena, la « soignante » de Plum, trahit ses amies historiques et les donne à la police par crainte d’être affiliée aux féministes violentes.
Enfin, Dietland est l’une des seules œuvres sérielle ou cinématographique à présenter une riposte violente des femmes contre les violeurs comme quelque chose de positif (c’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle a n’a pas été renouvelée). Les activistes-tueuses d’hommes sont clairement présentées comme des résistantes et des héroïnes et ça, ça fait un BIEN FOU. J’ai pas aimé par contre qu’au milieu de ces hommes violents, elles tuent une femme, actrice porno qui fait la promo de la pornographie et vend des vagins siliconés du sien dans les sex-shops. La fin de la saison 1 laissait entendre que ce point là allait être critiqué davantage dans la saison 2, mais elle n’aura jamais lieu donc c’est un peu dommage.
J’ajouterais, parce que c’est toujours ma crainte quand je démarre une série « féministe » portée par des grosses plateformes, que la série n’affiche aucune des valeurs queers (« Travail du sexe » et « Identités de genre=révolution féministe ») et c’est franchement rafraîchissant et c’est aussi pour ça qu’elle est pertinente : elle n’invite pas les femmes à « s’accepter soi-même » en faisant un pseudo « travail sur soi » qui passerait par une remise en cause totale de l’individue et finalement sa négation. Elle les invite à exprimer nos émotions, nos rages, à nous féderer et nous organiser pour combattre les hommes (et certaines femmes) qui perpétuent ces violences à notre encontre.
En démarrant Dietland, je m’attendais vaguement à un exposé sur le body-positivisme (baillement profond) mais j’y ai trouvé un véritable manifeste féministe. Ses défauts (qu’elle doit principalement à un manque de moyen sans doute dû au fait que c’est une série sur des meufs qui tuent des mecs et c’est réalisée par des meufs, un peu trop SCUM pour patriarcaTV) n’occultent en rien son esprit pionnier et profondément radical. Bref, une vraie série féministe.