Le rare et talentueux Alfonso Cuarón sait se faire attendre : sept ans séparaient Les Fils de l’Homme de Gravity, suivi de Roma cinq ans plus tard. Il lui a fallu six nouvelles années pour proposer son nouveau projet en tant que réalisateur, et il est vrai que le voir se déployer sur le format long d’une mini-série avait de quoi faire saliver.
Nous voici donc face à un récit s’étalant sur sept épisodes, pour un total dépassant les cinq heures, prenant un malin plaisir à dilater la forme et la narration. Pour un résultat assez affligeant.
Sur la forme, Cuarón n’a rien perdu de son exigence, et s’associe à deux pointures à l’image, Emmanuel Lubezki et Bruno Delbonnel : l’image est léchée à l’extrême, les mouvements d’appareil savamment étudiés, les intérieurs éclairés à la perfection et tous les contre-jours possibles avec coucher de soleil seront exploités. C’est plastiquement impressionnant, (la scène en mer, extension d'un morceau de bravoure déjà présent dans Roma, est très forte) indéniablement, apportant la même satisfaction que face à la belle ouvrage d’un livre de photographies d’un grand nom. Dans un récit, la gratuité menace donc à chaque seconde.
À cette limite s’ajoute celle de l’écriture. Disclaimer souffre de tous les défauts classiques de la série, qui étire le plus possible ses séquences et ses motifs en pensant naïvement que la seule quête du spectateur, serait la version XXL de ce qu’il aurait obtenu dans un long métrage.
Rien ne fonctionne vraiment dans ce récit caricatural où toutes les réactions des personnages sont outrées et sans nuances, dont le point d’orgue est sans doute cette séquence calamiteuse au travail où tous les collègues tiennent le livre dans la main avec un air accusateur, avant qu’on ne filme sa réaction violente. Comme si souvent, il s’agit avant tout d’instrumentaliser chaque élément (le mari, le fils, les collègues) pour en faire les accessoires d’une « descente aux enfers » improbable, alors qu’on sait évidemment qu’une seconde lecture s’imposera par la suite.
Et c’est là qu’on prend le bathyscaphe pour atteindre les abysses.
(Spoils)
Le troisième épisode est un joyau de manipulation : on y voit racontée par le menu l’infidélité passée de l’épouse lors de vacances italiennes. La séquence est proprement hallucinante, atrocement écrite, dans une sorte de parodie d’érotisme 80’s, avec musique langoureuse, MILF qui masturbe le pied d’un verre de vin pour chauffer un post ado bavant son désir dans des râles incontrôlés. On croit rêver qu’on puisse nous servir une telle ignominie, prélude à d’interminables scènes de sexe plutôt explicites durant lesquelles Cuarón se fait visiblement bien plaisir.
Bien évidemment, s’arrêter là serait une erreur : on nous dit depuis le début que tout ceci est la mise en image d’un livre écrit par la mère de l’ado décédé, et que la question du point de vue est à questionner. Dans une nouvelle variation de Rashomon, nous aurons donc finalement à la véritable version, bien moins mièvre et beaucoup plus glauque. Entre temps, on aura pris soin de prendre tous les personnages pour des abrutis (un livre à compte d’auteur qui dit toute la vérité, bien sûr), et les spectateurs avec, puisque des photos compromettantes sont censées valider la première lecture : grand talent de la victime de viol que de parvenir à sourire et s’épanouir pleinement lors des clichés pour donner du crédit à la manipulation future.
Ce twist putassier est donc censé sauver l’ensemble : la protagoniste, son mariage, son lien avec son fils, et la mise en scène elle-même, puisque tout ce qui pouvait sembler pathétique l’était en réalité du fait des limites malades de la perception d’une mère en plein déni. Mais cela ne justifie en rien la gratuité du récit premier, les répétions narratives (le mari qui va deux fois tuer le fils à l’hôpital), les faux suspenses, les symboles lourdauds de cafards sous un verre ou les renards et les chats numériques.
Effets de manche à tous les étages pour un gâchis d’ampleur : personne n’en sort grandi, et tout le monde est floué.