Ne pas respecter l'ordre des choses m'a fait démarrer cette relecture de Dororo l'esprit vierge, sans savoir qu'il s'agissait initialement d'un manga d'Osamu Tezuka publié dans Weekly Shōnen Sunday en 1967-68, ni même qu'une précédente version animée de l'auteur existait. Je ne savais donc rien de ce remake en 24 épisodes auquel je m'attaquais, pas même l'histoire. Je n'avais que l'image d'un jeune homme comme possédé, avec des lames pour avant-bras, et la période, l'aire Sengoku, passage trouble et sanglant dans l'histoire du Japon entre samouraïs et guerres de clans.
Et sans rien savoir de la quête de Dororo et Hyakkimaru, autant dire que ce démarrage fut déroutant. Les enjeux ne m'apparaissaient pas clairement et je découvrais une ambiance faite de démons, de douleurs, de choix déchirants jusqu'à la rencontre des deux personnages.
Mais dès le 3ème épisode tout s'éclaircit et l'histoire prend brusquement une tournure intéressante dans cette quête de réappropriation.
La véritable force de cet animé réside dans son ton sombre et désenchanté qui va petit à petit être mis en perspective avec la (re)naissance d'un personnage qu'on a dépossédé de tout, accompagné par un enfant que cette époque n'a pas épargné.
D'un côté, Hyakkimaru, ronin solitaire, ne vit que pour récupérer ses membres et ses sens, tout ce que son père a sacrifié de son être pour le donner en pâture à des démons et ainsi assurer la prospérité de son peuple. De l'autre, Dororo, gamin et garde fou d'un homme en quête de lui même, au risque de se perdre dans le sang qu'il doit faire couler.
Cette naissance, dans la douleur et la tristesse, à mesure que les monstres croisent la route de ce duo aussi improbable que touchant nous ramène à la difficulté de naître, même une seconde fois. Hyakkimaru récupère ses sens et ses membres et les utilise bien souvent pour la première fois dans la douleur et le désespoir.
Les premiers sons à ses oreilles seront des pleurs, le premier qu'il émettra sera un cri.
Et doucement mais sûrement, malgré quelques petits écarts qui n'apportent rien à l'histoire, on gagne en intensité jusqu'à mi-parcours, jusqu'à ce que le passé ressurgisse et vienne clairement mettre l'histoire sur les rails de son inévitable conclusion.
A partir de là, les personnages sont étoffés et les liens et les rancœurs qui les unissent donnent de l'ampleur à ce mélange historico-fantastique en faisant subsister perpétuellement une lueur d'humanité dans un monde en proie au chaos. Certains passages resteront dispensables mais l'essence même de cette histoire suffit à nous toucher, surtout lorsqu'arrive le final, un final maîtrisé et approprié qui conclue ce voyage dans le respect de l'ensemble.
Visuellement, rien à redire. L'animation est fluide et les paysages font honneur à la nature dans un style aquarelle qui contraste presque avec la brutalité des actes qui jalonnent le parcours de notre tandem. Les studios Tezuka et Mappa ne déçoivent pas non plus dans les combats et autres affrontements et dans le rendu des différents personnages. La fluidité des mouvements, le rythme, les acrobaties propres au genre, le visage expressif de Dororo face à la lente illumnination de celui de Hyakkimaru, tout réussi à nous immerger dans cette période de bouleversements.
Cette version 2019 de Dororo est donc une belle surprise pour ma part, une histoire sur l'ordre des choses, une adaptation qui me donne envie de revenir en arrière, à l'original, et de continuer à (re)découvrir l'univers dense du prolifique Osamu Tezuka dont je n'ai que des bribes de souvenirs à travers les adaptations animées d'Astro-boy, le Roi Léo, et Les vengeurs de l'espace aka Phénix, l'oiseau de feu.